Une facture et les manifs… déjà en 1883 :
« Donc, nous voici condamnés à l’émeute à perpétuité. Hier, c’était l’émeute, et demain , ce sera l’émeute, et après-demain encore ; car il n’y a aucune raison pour que cet état de choses finisse.
Pourquoi les ouvriers se révoltent-ils ? Parce qu’ils n’ont pas de travail !
Et pourquoi n’ont-ils pas de travail ? Parce que nous ne leur en donnons pas.
Et nous ne leur en donnons pas parce qu’un bourgeois doté d’une fortune moyenne mange un revenu de 8 jours en employant pendant 8 heures seulement un de ces aimables farceurs qu’on appelle un travailleur.
Voilà. Nous ne pouvons plus nourrir les ouvriers au prix que coûte leur pain ; et les ouvriers, pas contents de notre système d’économie, menacent de se payer eux-mêmes sur le bourgeois.
Ah ! les ouvriers sont des gens difficiles à contenter !
…Un pauvre employé change de logement et a la prétention de faire clouer sur ses murs quelques baguettes de bois qu’il a payées lui-même 15 centimes le mètre ; il fait venir le menuisier voisin. Il évite le tapissier par prudence et appelle un simple menuisier, un citoyen à tablier gris …L’homme se met à l’œuvre, coupe et cloue, pendant 6 heures, et 8 jours plus tard, apporte sa note, qui monte à 80 francs et débute ainsi :
Coupes et pose de cadre, moulure sapin : 7 mont ; ch. 2,15 15,5 F
Trav. : 10,86 F
Autres d. en 0013 17,23 F
26 coupes d’onglets ch. O,20 5,20 F
Etc.
Et cela dure ainsi six pages.
Le coup de scie vaut 0,24
L’entaille de développement ( ?) : 0,25
Le coup dans le mur pour porter un cadre : 0,18
Le malheureux employé perd la tête, essaie de comprendre, n’y peut parvenir et sait seulement qu’il doit 80 Francs pour 6 heures de travail.
Souvent il paie sans rien dire ; mais parfois il va trouver un architecte qui réduit cette somme à 45 F. en constatant que tous les tarifs ont été forcés.
Et il ajoute : « Si vous vous étiez entendu préalablement pour fixer un prix, cela vous aurait coûté 20 francs en tout. »
Donc les tarifs de Paris permettent de demander 45 F. pour un travail qui en vaut 20 à 25. et toujours, les fournisseurs, les patrons forcent les chiffre de ces tarifs.
Or,ne serait-il pas juste et sage de condamner comme coupable d’une tentative de vol tout maître ouvrier ayant employé cette ruse vis-à-vis du bourgeois qui ignore les prix ? »
(Maupassant, le Gaulois, 16 mars 1883)