A propos d’Avant l’aube de Raphaël Jacoulot 3 out of 5 stars
Dans les Hautes-Pyrénées, Jacques tient un hôtel de luxe perdu dans la montagne. Lorsqu’Arnaud, son fils, tue accidentellement en voiture un client de l’hôtel, Jacques décide de cacher le corps et de ne rien dire à la police. Mais Frédérique, un jeune employé de l’hôtel, a été témoin de la scène. Jacques achète alors implicitement son silence en le promouvant à la place de coursier. Mais la police rôde et mène l’enquête, de plus en plus pressante…
Avant l’aube est un polar noir. Un polar sans sang ni meurtre, au parfum de Simenon. L’enjeu d’Avant l’aube est double. Il s’agit d’un jeu psychologique qui tournera à la guerre de nerfs entre Jacques (Jean-Pierre Bacri, sombre et bougon comme jamais) et Frédérique (Vincent Rottiers). Sans jamais évoquer le sujet, chacun sait que l’autre est au courant de ce qui s’est passé.
La rigueur classique de la réalisation et l’ambiance froide du film évoquent Melville (Le cercle rouge). Le scénario implacable et une mise en scène tendue permettent d’instaurer un climat glacial qui fait écho aux liens psychologiques et affectifs tortueux qui s’instaurent entre Jacques et Frédérique.
Frédérique est un ancien taulard en réinsertion. Arnaud est le rejeton minable de la famille, le fils indigne que Jacques préfèrerait ne pas avoir. Entre lui et son fils, c’est la guerre permanente. Jacques passe son temps à railler son fils, Arnaud à se braquer. Les deux hommes évitent de se se parler. L’atmosphère glaciale qui règne à table entre eux évoque Chabrol et le talent qu’avait le réalisateur de La cérémonie pour décrire le silence des membres d’une famille bourgeoise incapable de communiquer (Merci pour le chocolat). Le mensonge, la dissimulation sont bien des thèmes empruntés au réalisateur disparu en 2010 et que l’on retrouve ici.
Mais Avant l’aube est plus complexe et pousse plus loin son portrait. Au-delà du silence que Jacques réussit peu à peu acheter chez Frédérique en le gâtant et en l’arrosant chichement se crée une relation quasi-paternelle entre le patron et son employé. C’est l’autre enjeu du film. La relation affective qui vient nuancer le jeu d’échecs psychologique entre Jacques et Frédérique. Jacques voit en Frédérique le fils solide et courageux qu’il aurait aimé avoir, Frédérique, en rupture familiale, en Jacques le père qui lui manque. Arnaud fait penser au personnage un peu mou et apathique de Guillaume dans Merci pour le chocolat. Toute la subtilité du film vise à ne jamais répondre à la question de savoir dans quelle mesure Jacques s’est servi du besoin de père dont Frédérique souffrait pour le piéger. On est toujours dans l’ambigüité chez Jacoulot, dans le non-dit. Même le personnage de flic joué par Sylvie Testud a un côté énigmatique. Seule certitude, Frédérique est un homme de parole et d’honneur, qui ne trahira pas son patron. Mais payera-t-il la confiance qu’il avait placée en Jacques ? Un piège se retourne parfois étrangement (inconsciemment ?) contre son initiateur…