Le pourrissement de la situation politique est tel que les violences sont en train de gagner tout un pays dont l'économie est paralysée.
Les violences sont souvent le fait de jeunes armés qui montent des barrages. photo afp
Yopougon, quartier d'Abidjan, est un fief des partisans de Laurent Gbagbo. Hier s'y est déroulée une scène atroce, selon un récit digne de foi recueilli par « Sud Ouest » : « Quatre militants pro-Ouattara ont été ligotés. On a entouré chacun d'un pneu auquel on a mis le feu. Ils sont morts brûlés », raconte Ibrahim. Ce genre d'exactions, des quartiers populaires à celui des affaires au Plateau, en passant par la zone 4 où vivent des Français, il y en a d'autres, qui illustrent la dérive sanglante que vivent les habitants d'Abidjan et du reste du pays depuis plusieurs jours.
Comme lors des conflits de sinistre mémoire au Liberia ou en Sierra Leone, les violences sont souvent le fait de jeunes armés qui montent des barrages dans la ville, arrêtant les voitures sous prétexte de contrôles. Selon un Français, « le pouvoir a donné des kalachnikovs à des gamins depuis le début de la semaine. Ils s'en servent pour rançonner, voire tuer. » Ce qui fait dire à ce témoin que « les bilans officiels des morts sont très sous-estimés ».
Hier, l'Onuci (la force de l'ONU présente dans le pays) a comptabilisé 50 tués depuis le 24 février et 365 en deux mois, auxquels s'ajoutent les sept femmes tombées jeudi à Abobo sous les balles de mitrailleuse des Forces de sécurité (FDS) de Laurent Gbagbo. Mais, selon Ally Coulibaly, l'ambassadeur (ouattariste) de Côte d'Ivoire en France, « nous en sommes à 1 000 morts », et l'estimation paraît plus que plausible tant les témoignages d'exactions sont nombreux.
Électricité coupée au nordÀ Abidjan, la guerre de rue qui bat son plein a fait fuir des dizaines de milliers d'habitants des quartiers exposés aux violences comme Abobo, Koumassi, Yopougon. Les familles se réfugient chez des proches ou dans des missions religieuses, églises ou mosquées. Les autres restent terrés chez eux, pour découvrir des morts au petit matin. Les affrontements sont en train de gagner tout le pays. Notamment l'Ouest, où MSF (Médecins sans frontières) parle de « grave dégradation », avec des populations fuyant les violences et des hôpitaux désertés par leur personnel. 70 000 Ivoiriens ont déjà fui dans les pays voisins selon le HCR. Dans le Centre et le Nord, la vie quotidienne devient très difficile depuis que l'électricité a été coupée, après la réquisition de la principale société de distribution par le régime de Laurent Gbagbo.
Et si la guerre économique lancée par Alassane Ouattara pour étouffer son rival porte des fruits, ils sont amers pour la population. Insécurité et paralysie économique obligent les salariés à rester chez eux. Les treize principales banques du pays sont fermées. « Les paiements se font cash et la fausse monnaie commence à pulluler », témoigne le chef d'entreprise bordelais Alain Taris.
En déliquescenceDans les « essenceries », le carburant se fait rare. « Les camions-citernes hésitent à sortir. Les forces de sécurité sont servies en premier dans les stations ouvertes », note un habitant d'Abidjan. Et de toute façon, l'insécurité, les barrages, ont paralysé une grande partie du trafic routier dans le pays.
Sur les ports d'Abidjan et de San Pedro, touchés par l'embargo, toute activité a cessé. Notamment l'exportation du cacao, principale ressource du pays, interdite aux opérateurs par Ouattara. Mais « le clan Gbagbo aurait saisi une partie des stocks pour tenter de les revendre et les faire sortir par bateau », confie cet habitant.
C'est dans ce pays déliquescent, déjà en proie à la guerre civile, que les médiateurs de l'Union africaine, jusqu'ici impuissants, sont sur le point de revenir. Sur place, personne ne parie plus sur une issue négociée…