Après avoir lancé un débat sur l’identité nationale qui a eu pour seul effet que de faire monter le Front National dans les sondages, après avoir désigné les Roms à la vindicte populaire, après avoir patiemment dressé les Français les uns contre les autres, le Président de la République annonce un grand débat national sur « l’islam et la laïcité »: que ce débat soit intéressant, nul n’en doute. Les maires en particulier savent par exemple la difficulté juridique créée par la loi de 1905 qui leur interdit d’accompagner les musulmans dans leur désir légitime de prier alors qu’ils ont obligation d’entretenir le riche patrimoine des Eglises et, parfois, des synagogues. Nicolas Sarkozy, quand il était ministre de l’intérieur, avait d’ailleurs pris à l’époque des positions audacieuses sur le sujet.
Mais alors que le chômage continue d’approcher les 10%, que nos concitoyens subissent une érosion de leur pouvoir d’achat, qu’ils se heurtent au problème du logement, subissent la montée des violences, alors que les services publics essentiels de l’éducation et de la santé sont dans un état inquiétant, comment l’UMP peut-elle sérieusement affirmer que la première préoccupation des Français serait aujourd’hui la place de l’Islam dans notre pays ? On devine évidemment les arrière-pensées tactiques ciblant un certain électorat que se disputent âprement depuis 5 ans l’UMP et le FN. On est atterré qu’un Président de la République, pourtant investi de la plus haute des responsabilités – celle de rassembler son pays, d’assurer la cohésion nationale et de garantir le respect dû à tous les citoyens – puisse être à l’origine d’une telle démarche.
D’abord parce qu’il ouvre la boite de Pandore de la surenchère idéologique à laquelle malheureusement, comme l’attestent les déclarations récentes de Christian Jacob, la droite traditionnelle a du mal à résister. Ensuite, parce que cette surenchère idéologique n’a qu’un seul effet : placer le Front national au centre du jeu. Croire que si la droite ne s’empare pas de ces thèmes, le Front National remontera est une illusion. C’est le contraire que l’histoire démontre : la reproduction est toujours, si l’on ose dire, moins réussie que le modèle.
Mais c’est à un autre niveau que je veux me situer : celui de la morale en politique. Faut-il vraiment remuer les peurs, les angoisses, parfois légitimes, parfois exagérées, de nos concitoyens au lieu de traiter les problèmes? Que gagne-t-on à la stigmatisation d’une large communauté dont l’immense majorité n’est ni fanatique ni hostile à la laïcité mais qui demande les moyens de s’intégrer ? On sait que les principaux obstacles ne viennent pas des musulmans mais d’une société qui, de façon plus ou moins opaque, les loge avec parcimonie à cause de leurs noms, les recrute avec difficulté et leur donne parfois le sentiment d’une République qui n’est plus intégratrice mais excluante.
Pire : dans cette affaire, le pouvoir joue avec la vérité. Il cherche à entretenir le sentiment que la communauté musulmane continuerait de poser un problème en soi alors que les faits montrent tout simplement le contraire : l’intégration est en marche. Il ne s’agit pas d’ignorer les tensions et les tentations fondamentalistes. Mais il serait irresponsable d’occulter le fait essentiel, les jeunes musulmans trouvent de plus en plus, de mieux en mieux, leur place dans notre société.
Surtout, à l’heure où naît dans le monde arabe, un vaste mouvement de révolte contre les dictatures qui, à la différence de
la révolution iranienne de 1979, n’est pas un mouvement islamiste mais mêle des musulmans laïcs et des croyants, à l’heure où naît l’espoir d’une démocratisation d’un certain nombre de ces
pays, il est assez scandaleux et fortement malhabile de s’emparer du thème de l’islamisme pour en faire un argument électoral. Nous préférerions voir une diplomatie plus digne. Barack Obama a
pris le parti de défendre la lutte des peuples pour leur liberté. La France hésite jusqu’au dernier moment, et perd sa capacité d’influence. C’est là le vrai point d’interrogation.
On ne doit pas gouverner l’oeil rivé sur les sondages mais aussi avec quelques principes. Il est temps que la
France puisse rappeler les idéaux qui ont forgé son histoire.
Bertrand Delanoë
Merci à : Section du Parti socialiste de l'île de ré