Il y a quelque chose de symbolique dans l’affaire KT von (und zu) Guttenberg : ce ministre allemand de la défense était un poids lourd de la politique allemande, avec de grandes ambitions. Il avait lancé un très important chantier de réforme de l’armée allemande, avec d’une part la professionnalisation, d’autre part la restructuration du ministère, qui correspond d’ailleurs aux chantiers similaires lancés il y a trois ans en France, et cette année en Grande-Bretagne.
Il est tombé pour une thèse plagiaire, truffée d’extraits de texte sans citation. Il est tombé médiatiquement sur un fait qui est, d’abord, médiatique.
En effet, KT von und zu était une étoile de la communication, avec une cote de popularité sensationnelle, et d’énormes qualités qui convenaient à l’époque people : nom, fortune, look, épouse, succès multiples, et une confusion hardie des genres, emmenant la belle Stephanie en Afghanistan avant de revenir le soir en Allemagne pour une réception en smoking : de la jet-set bling-blingo-opérationnelle, en quelque sorte. Le public adorait.
Cela ne suffisait pas, il lui fallait le titre de Docteur. On n’a pas idée, en France, de l‘importance en Allemagne de ce titre, au point que les deux lettres sont mises par celui qui s’en honore sur tout papier à lettre, carte de visite, attache de signature, boite aux lettre et étiquette de sonnette. Être docteur, cela vous donne un poids, une respectabilité ; une notabilité dont on n’a plus idée en France, où l’on est si soucieux de relativisme post-moderne mâtiné de « ah ça ira ! » néo-sans culotte.
Notre homme a donc écrit une thèse, l’a soutenue, et a été institué docteur, cum lauda. Bravo. Car puisqu’il était dans le monde des apparences et du bling-bling, cet attribut là était nécessaire à l’étalon de ses valeurs. Factice, mais ce n’est pas grave, n’est-ce pas, puisqu’il vit dans un monde factice. Le nègre qui aura écrit sa thèse n’aura cependant pas été bien malin, car du coup, voici notre homme abattu pour les qualités mêmes qui l’avaient porté au pinacle. En effet, cette thèse creuse est le symbole du vide de sa pensée. Ecrire une thèse impose de lire, d’interroger les autres idées, de comparer. Une thèse impose de penser.
C’est ce mépris de la pensée qui est aujourd’hui sanctionné. Chacun admet qu’un homme politique est, d’abord, un homme d’action : un garagiste qui règle les urgences de ses clients qui viennent avec toutes leurs pannes et qui doit ici changer un pneu, là réparer un filtre à huile, …. Ce métier a sa noblesse, comme tous les métiers de service. Mais ce n’est pas un métier de pensée. Et, dans les matières qui nous concernent, n’est pas stratège qui veut.
On ne saurait se limiter à cette seule conclusion. L’affaire a une autre résonance. Car il s’agit, peut-être, de la fin des paillettes. De même que Galliano est chassé par ses excès "non artistiques", de même von und zu pâtit de ses excès glamour. Cette chute fait écho à ce qui se passe dans le monde arabe : un retour de la réalité qui met à bas les apparences.
Et s’il y a une leçon stratégique, c’est bien celle-là, et il n’est finalement pas si anodin que ce soit un ministre de la stratégie qui la porte : la communication médiatique, l’écume moussante de la surface des événements ne suffit plus à masquer les vérités, qui sont en train de surgir, et de « surprendre ». On ne communique que si on a quelque chose à communiquer. Et si ce qu’on communique est faux, gâté, corrompu, recopié, il est somme toute sain que finalement, la vérité éclate.
D'ailleurs, pourquoi dit-on de la vérité, toujours, qu'elle "éclate" ?
O. Kempf