Le jeu de la comédienne est magnifique et il y a fort à parier que l'Inattendu sera programmé par de nombreux théâtres la saison prochaine.
On ne l’a pas vue traverser le public. Elle s’est avancée pieds nus, robe longue comme une aube de communiante, yeux cernés, aimantés par la veste qu’elle prend délicatement pour la bercer en esquissant une danse. Elle la repose et dépose une peine intense.
Le texte est magnifiquement porté par Eleonor Agritt qui le joue à sa juste mesure. Elle intériorise la douleur de la disparition et la met à distance avec les moyens du bord, en parlant d’elle à la troisième personne, et puis aussi en s’anesthésiant avec l’alcool.
Liane n’y croit pas à la disparition de toi. (…) L’amour se prend des beignes. J’ai l’air d’un tigre en plus petit. Je pleure même pas. Je n’ai plus le cœur aussi propre et costaud qu’avant.
L’histoire nous est donnée par bribes. On comprend petit à petit comment les choses ont pu se passer. L’homme a disparu, ou plutôt n’est pas rentré, s’étant peut-être malencontreusement noyé, sauf que celui qu’on traitait de sale nègre a plutôt sûrement été pourchassé par des militants du Ku Klux Klan qui tirent des coups de feu toutes les nuits.
Liane revit la phase de déni. La première année qui a suivi la « disparition » elle repassait son linge tous les jours. Elle l’a cherché partout dans les bayous, jusqu’à ce que l’absence soit devenue si fatigante qu’elle a commencé à pencher. Elle ne manque pas d’humour pour nous faire partage sa détresse : même la tour de Pise on la restaure.
La comédienne ne regarde jamais le public. Elle monologue à voix haute, cherchant la vérité. Je ne suis pas folle ! Mon coyote t’es pas Arsène Lupin ! Son délire convoque les souvenirs. Elle le cherche. Elle avale un boomerang, n’arrêtant pas de sourire.
Ses gestes évoquent ceux que l’on fait sur une tombe. La vie c’est ce qui nous arrive quand on fait autre chose … peut-être.
Le soir de ma venue l’osmose entre le texte et l’interprète était parfaite. Chaque mot sonnait juste.
Il faut se souvenir de son nom, Eleonor Agritt, et c'était surprenant de constater combien elle pouvait naturellement être jeune et joyeuse aux saluts.
Il faut aussi se souvenir du nom de l'auteur, Fabrice Melquiot, qui a écrit un texte poétique sur un sujet grave sans s'interdire quelques formulations humoristiques.
Le théâtre des Déchargeurs est situé au numéro 3 de la rue du même nom, dans le 1er arrondissement. Sa programmation est extrêmement variée. Tel 01 42 36 00 02