L'artiste plasticienne Delphine Kreuter s'essaie au cinéma avec une oeuvre complètement décalée qui parle , entre autres, de notre relation à Internet. Distribué dans 5 salles, ce petit film est-il une pépite ?
La critique
Original, maladroit, touchant, brouillon : un film décalé
Bienvenue chez les fous ! Contrairement à ce que l'on pourrait croire en voyant la jolie affiche, ce film est tout sauf joyeux. 57 000 km entre nous c'est plusieurs histoires de personnages complètement déséquilibrés dans notre monde moderne de communication. Il y a d'abord la mère , Margot (Florence Thomassin). Elle a refait sa vie avec Michel (Pascal Bongard) et ensemble ils tiennent un blog où ils exposent toute leur vie. Moment de bonheur à coups de "je t'aime", recettes de cuisine maison et diner entre amis : tout y passe et est diffusé par podcast. Il y a ensuite la petite fille de la famille, Nat (Marie Burgun). Peut être la plus normale de tous. Nat passe son temps à converser sur Internet. Elle partage des dialogues avec un homme déséquilibré qui aime être traité comme un bébé (imaginez Mathieu Amalric en couche et suçant son pouce!) mais aussi et surtout avec un mystérieux internaute, Adrien (Hadrien Bouvier), avec qui elle passe des heures à converser tout en jouant à un jeu de rôle en ligne. Ils ne se sont jamais vu mais progressivement l'envie va se faire ressentir. Problème : Adrien est en phase terminale dans un hôpital. Internet est son seul moyen de s'ouvrir au monde et de communiquer avec les siens (sa mère ne parvenant pas à accepter sa maladie, elle ne parle avec son fils malade que par webcams interposées!) Ajoutez à cela que la grand-mère de Nat est du genre à se balader en maillot de bain paillette en se prenant pour une star de cabaret et que le père génétique de la jeune fille à quitté sa femme pour devenir lui-même une femme : vous comprenez que la vie de Nat, c'est pas de la tarte...Sa rencontre avec Adrien aura-t-elle lieu ? Auront-ils le temps de s'aimer ?
Filmé en DV et avec les pieds , 57 000 km entre nous déroute immédiatement. Absence totale de moyens, réalisation à l'arrache...Delphine Kreuter ne semble vouloir que filmer ses personnages en gros plan. car ce qui l'intéresse c'est ce qu'ils ressentent. Alors oui ça donne la nausée, oui c'est hyper cheap mais étrangement on finit par accrocher et se prêter au jeu. Certains plans assez sublimes émanent même de temps en temps. Oeuvre décalée, 57000 km entre nous intéresse surtout par le sujet qu'elle traite : notre relation à Internet et plus globalement à un monde d'images où real tv et blogs ont banalisé le fait d'exhiber sa vie privée. Comme s'il n'était plus possible de vivre , de vibrer sans avoir un minimum de notoriété, sans avoir ce "privilège" qu'est celui d'être vu et reconnu. Peut-on encore se passer d'Internet aujourd'hui ? La question mérite d'être posée. Ce nouveau moyen de communication aurait tendance justement à nous éloigner des notres, à nous faire céder à la facilité. C'est le cas ,dans le film, de l'ancien compagnon de Margot devenu une femme qui prend des nouvelles d'elle en consultant son blog plutôt que de l'appeller et aussi et surtout de la mère du jeune Adrien qui prend des nouvelles de son films mourant par Internet, moyen pour elle de rester en contact avec lui sans avoir à supporter l'atmosphère d'un hôpital. On en perdrait donc nos beaux rapports humains au profit du virtuel.
Mais 57000 km entre nous montre aussi qu'Internet apporte son lot de bonnes choses. Grâce à la technologie, Adrien peut communiquer avec le reste du monde et se trouver une nouvelle amie. Nat peut échapper à son quotidien difficile en se baladant avec son avatar dans un jeu vidéo...Et au final le virtuel peut devenir réel. Enfin, on l'aura compris, le premier long de Delphine Kreuter est avant tout un film sur l'identité, tous les personnages ayant un rapport complexe vis-à-vis de leur propre image. On regrettera que ce sujet intéressant n'ait pas pu bénéficier d'une véritable réalisation, de véritables moyens. Mais le côté cheap et bordélique avec toutes ces idées et ces personnages qui partent dans tous les sens est peut être aussi ce qui fait le charme de ce film singulier. Si vous êtes en manque d'originalité, laissez-vous tenter !