Tous les observateurs parlent aujourd’hui de la campagne interne rue de Solferino, évoquent les hésitations d’un Hulot et d’un DSK, s’épanchent sur le potentiel électoral du FN version bleu Marine et soulignent les progrès de Jean-Luc Mélenchon, nouveau trublion à gauche de la gauche. Seule l’UMP semblait demeurer hermétique à tout ce tumulte. Puis, a été publiée une enquête de l’institut CSA indiquant que seul le Président sortant serait en mesure de devancer Marine Le Pen et de qualifier la droite pour le second tour de l’élection présidentielle en 2012. Après son opération séduction dans « face aux Français » le 10 février dernier sur TF1, Nicolas Sarkozy a bel et bien lancé sa campagne en venant inaugurer le 28e Salon de l’Agriculture. Un symbole politique fort qui rappelle son prédécesseur et vient corriger les ratés des années précédentes lors de la grande messe de la ruralité.
La nécessaire prise en compte du monde paysan
Selon l’INSEE, en 2008 la France a vu pour la première fois sa population agricole active passer sous la barre du million d’individus. Pourtant, si cela fait plus de 70 ans que la population liée au secteur primaire n’est plus la première force productrice du pays sur le plan démographique (1933), celle-ci conserve une importance capitale aux yeux des Français, dont une majorité compte un grand-parent issu du monde agricole.
Un sondage réalisé il y a dix ans par Ipsos soulignait déjà cette volonté de ne pas « ghettoïser » les derniers survivants du monde paysan. Cette enquête mettait en lumière la conscience d’un fossé grandissant et l’envie de voir celui-ci se résorber (83%). Ce sondage indiquait également que si le grand public témoigne d’une profonde estime pour cette frange de la population, il existe des attentes fortes, en particulier sur les questions sanitaires et environnementales.
Plus récemment, une enquête conduite par l’Ifop est venue confirmer la bonne image dont la population des agriculteurs bénéficie auprès du grand public. Perçus comme « dignes de confiance » (78%) et « modernes » (77%), deux tiers des Français estiment que les agriculteurs sont également respectueux de la santé des Français (65%) : un jugement en nette amélioration sur la dernière décennie (55 % en février 2002). A l’inverse, les Français sont partagés quant à l’impact des agriculteurs sur notre environnement : 55% estimant qu’ils contribuent à sa protection, un chiffre stable depuis dix ans (54% en 2001).
On notera que les habitants des communes rurales comptent parmi les plus forts soutiens sur les items évoquant la confiance (81%) et la modernité (82%). Enfin, élément intéressant à souligner, cette même population témoigne d’un soutien équivalent à celui du grand public sur les items de santé relatifs aux citoyens et à l’environnement.
Retour aux sources et à la terre
Dans ce contexte, les fils du dialogue avec le monde paysan sont cruciaux et doivent être entretenus, en particulier par les candidats de droite. En effet, le monde rural et agricole est historiquement un bastion des forces politiques conservatrices. Plus catholiques et traditionnalistes, les agriculteurs se démarquent par un positionnement politique clairement marqué à droite.
L’enquête réalisée par l’Ifop sur la période 1999-2011 permet de confirmer la validité de ce propos encore aujourd’hui. En 2011, 40,5% des agriculteurs déclarent se sentir proches de la droite alors que le centre (UDF-Modem) et le PS ne recueillent que 14% des suffrages. Les réponses formulées sur des sujets de société viennent corroborer ce jugement : l’assistanat des chômeurs est critiqué (77% soit 18 pts de plus que la moyenne nationale), l’homosexualité moins bien acceptée (64% contre 77%) et l’immigration vécue comme trop importante (63% contre 54%).
Successeur de Jacques Chirac à l’Elysée, Nicolas Sarkozy a très rapidement pris la mesure de l’importance de cette frange de la population. Lui, le citadin, élu de Neuilly-sur-Seine, partait avec un certain handicap par rapport au corrézien dont le parcours et les batailles politiques s’étaient faits « au cul des vaches » comme il aimait à le rappeler. Le rapprochement avec le CPNT et le positionnement à droite sur un certain nombre de sujets lui ont permis de remporter un réel succès chez les agriculteurs lors de la présidentielle de 2007 : 32% des suffrages lors du premier tour et 73% lors de son duel face à Ségolène Royal.
La mobilisation lors de la campagne de 2006-2007 a donc permis au Président Sarkozy de s’imposer comme un leader à l’écoute du monde paysan. Cette assise tant recherchée dépassait même le soutien dont Jacques Chirac bénéficiait en 2002 lors de son élection : 79% contre 77% en faveur de Nicolas Sarkozy dans le premier mois comme Président.
Aussi, tout au long des quatre premières années de son mandat, Nicolas Sarkozy s’est employé à conserver le soutien de cette portion de son électorat jugée indéfectible malgré les mauvais scores de popularité de l’exécutif. Ainsi, en dépit de la lente chute de la popularité du Président, le soutien des agriculteurs est demeuré bien supérieur à la moyenne nationale : 10 à 20 points de différence jusqu’au printemps 2010. Les élections régionales qui ont vu la droite perdre les derniers bastions qui lui restaient ont symbolisé la fin de ce fort soutien du monde paysan. Ainsi, à l’été 2010, la popularité du chef de l’état était la même chez les paysans que chez le grand public : 32%.
Un socle retrouvé en partie grâce à l’action de Bruno Le Maire
Lui qui avait tant investi pour se construire une image de Président proche du peuple et des racines agricoles françaises à très vite senti le vent tourner. Cette prise de conscience a été rapide et sa réaction tout autant. Depuis l’été, lui et son gouvernement ont multiplié les prises de paroles en faveur des agriculteurs que ce soit sur l’environnement, la hausse des matières premières, les coûts de main d’œuvre ou la question des aides communautaires.
Face aux velléités, en particulier britanniques, de déréguler la PAC et de laisser le marché fixer lui-même les prix, Bruno Le Maire a vivement réagit, rassurant du même coup les agriculteurs français sur cette question. En parvenant à faire naitre un consensus autour de l’idée de régulation et en maintenant à un niveau équivalent le budget communautaire de la PAC, le ministre de l’Agriculture a permis au Président de regagner la confiance des agriculteurs. Mis à mal après un trou d’air de popularité de près de douze mois, sa popularité chez ce public est revenue à 51% soit 20 points de plus que la moyenne nationale.
La meilleure appréciation du président de la République est donc également le fruit d’une mobilisation forte de son ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire. Fidèle collaborateur de Dominique de Villepin depuis sa sortie de l’ENA, il n’est entré en politique qu’à la faveur de la nomination de Jean-Pierre Jouyet à l’AMF. Secrétaire d’état discret comme en témoigne son absence dans les différents baromètres d’opinion des grands instituts, il a attendu sa nomination au ministère de l’Agriculture pour gagner en influence, au point d’être cité comme possible candidat à Matignon à l’automne 2010 et au Quai d’Orsay au mois de janvier 2011.
Ses combats pour défendre les agriculteurs français ont semble-t-il porté leurs fruits comme le démontre une dernière étude BVA qui indique que les agriculteurs sont 58% (+12pts depuis octobre 2010) à lui faire confiance pour défendre leurs intérêts alors qu’ils ne sont que 20% à faire confiance à N. Sarkozy (stable) sur cette même question.
Groupe sociologique stratégique malgré la faiblesse démographique qui ne les fait même plus apparaitre dans les enquêtes d’opinion, les agriculteurs (14/1000 selon l’INSEE) demeurent un pilier que la droite sait mobiliser à l’approche des grandes échéances. A quinze mois du grand rendez-vous présidentiel, l’UMP et son candidat probable ont donc entamé la campagne sur les terres agricoles (même Porte de Versailles) et chargé l’actuel ministre de l’Agriculture de réfléchir au projet présidentiel pour 2012. La stratégie qui vise à conforter ses bases et son territoire électoral avant de partir à la chasse aux électeurs situés sur ses ailes (centre et FN) avait payé en 2007. Quatre ans plus tard, les stratèges de l’Elysée, semblent faire le même pari.