Dans les Temps — III
Aux armes ! cités d’Europe…
le soir de deuil
est arrivé !Dites, qu’on ne sort de la guerre
que par la guerre ! — et l’heure des trompettes, dure
au-dessus des étreintes de qui vont mourir !
De sang, de gorges singultuant de rupture —
dure…
Elles éplorent le soir des Banqueroutes
d’États, les trésors vides par la paix-armée
et la terreur des Uns à grand geste alarmés
et l’angoisse des détenteurs mauvais de l’Or
sentant hideusement aussi, que vient la mort —
car, n’entendez-vous pas :
il passe des Bruits sourds
il passe des hans d’hommes dans les alentours…Ils passent en marquant le pas, ils passent en
hurlant par toute route et en des heurts tintant :Allons (la terre, la terre ronde)
allons légèrement, hardiment :
la terre vaste, la terre ronde
est une mère de tout le monde —
allons la terre, légèrement !...Ils passent en marquant le pas, ils passent en
hurlant par toute route et en des heurts tintant
vers ailleurs qui s’en aillent pour pouvoir vivre, ou
pour mourir : et leurs poings tordus maîtrisent d’armes
la nuit venante aux plis des noirs drapeaux d’alarmes.Elles sonnent les Révoltes et Banqueroutes…
Et les hommes des Banques du sang et de l’or
à tous États, de rois et parlements ! ont dit :
— « Votre Empire ne tient qu’autant que nous tenons
ventripotents et vos maîtres, et tous nos noms
se mêlent dans l’histoire énorme de la haine
des peuples ! Nos trésors meurent dans vos trésors
et, las de nous et d’eux, les peuples aux poings tors
de toute part partis nous poussent leur haleine :
que l’emplisse leur mort !
Ils gardent la hantise
cruante des mots qui mentent ! patrie, en eux
retentira au sens de meurtres, et haineux
le vent haut-soulevant des trompettes, attise
le sang des Races ! — Ils ont le goût du sang, et
du heurt vers n’importe le néant, tas muet
ils entreront dans les poitrails les uns des autres
ainsi qu’ils entreraient tragiques, dans les nôtres :
ô rois et pseudo-rois ! l’heure des Banqueroutes
de tout sonne ! et d’aller entreprendre les routes. »…Aux armes ! cités d’Europe —
le soir de deuil
est arrivé !...Haine immortelle de nos Aïeux
tressaille dans nos artères, et
sonne !
contre nous, teint de tous lieux
l’étendard sanglant se lève ! — aux armes !
et sonne dans l’horizon muet
du heurt en nos poitrines d’alarmes
du heurt ardent de notre sang, et
bats!...
Faisant notre entraille pleuvoir
nous sommes l’hérédité vivante
des ventres qui hurlent l’Épopée
du sang large, où se meurtrit le soir
qui rutilait au long de l’épée :au vent des trompettes d’épouvante
qui s’empourprent de notre haleine ! — en
val et mont qui ne sont pas patrie
et peuplant de nos morts d’autres sols
ô toi ! que nos veines ont nourrie !
oui, mène aux meurtres et mène aux viols
ta géniture où hurle l’élan
et sur les peuples d’âme tarie
tiens notre étendard teint de tous lieux !
Haine immortelle de nos Aïeux !…[…]
Il n’était de vainqueurs — il n’était que des morts.
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Et s’entassaient les millions d’hommes au terroir
putride des millions d’hommes ! et, envahies
envahissantes, les patries — d’un seul soir
dont se tord le trépas d’humanités haïes
cendre et tumulte, étaient la même gloire :
quand !
comme si sur soi-même s’était la Nature
retournée en sa Matrice, — l’ample navrure
eut du talent sursaut d’animal ! or, aux têtes
montant, l’universel tressaillement vainquant
des atomes humains qui hurlent à la Vie !
tous, à la Vie de son germe inassouvie
et vaste et rauque ainsi que l’aire des tempêtes !…Et les peuples sortirent du guet-apens, — ivres !
René Ghil, Dire du Mieux : L’Ordre altruiste : probablement 1897, in Le Vœu de Vivre & autres Poèmes, Presses Univ. de Rennes, 2004, pp.334-336
Contribution de Jean-Pierre Bobillot
Bio-bibliographie de René Ghil
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