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Abu Dhabi, Diana et Bouazizi

Publié le 04 mars 2011 par Jcharmelot

ABU DHABI - Un ami de longue date m'a expliqué, assis sur la terrasse de sa maison à Abu Dhabi, un des émirats pétroliers du Golfe, comment la mort de Mohamed Bouazizi avait été ressentie dans le monde arabe. " Il s'est agi pour chacune des personnes que je rencontrais alors d'un deuil personnel, comme ce fut le cas lorsque la princesse Diana est morte ", m'a dit cet ami. Il n'a rien d'un rêveur ni d'un sentimental, et sa remarque m'a surpris. La comparaison entre la mort d'une figure de la jet-set mondiale et celle d'un vendeur de légumes m'a semblé inapropriée. Puis j'y ai réfléchi davantage. Il y a effectivement un point commun entre ces morts brutales: leur mise en scène par la presse, et particulièrement par la télévision. Diana et Bouazizi, de son vrai prénom Tarek, sont devenus des personnages du récit que le public veut entendre, celui d'un monde où les héros peuvent mourir mais où leurs esprits survivent. Dans la guerre contre la mort, ils perdent une bataille, mais ils deviennent éternels parce que nous les inscrivons dans nos mémoires comme des mythes immortels. Et ce miracle est accompli lorsque les grands prêtres des temps modernes, les stars de la télévisions viennent nous faire le récit de ces fins fabuleuses qui donnent du sens à des vies qui n'en avaient pas. La mort de Diana est certainement une tragédie pour ceux qui l'aimaient, et leur chagrin a été sincère en dépit de l'attention médiatique, et des polémiques. La mort de Bouazizi a également brisé le coeur de sa famille et de ses amis, et approndi encore le désespoir de ceux qui vivaient comme lui. Puis la presse est arrivée et elle en a fait l'emblème de la révolution. Tout comme la presse avait fait de Diana une hérone de contes de fée. Bouazizi s'est immolé et est mort parce qu'une femme policier lui a donné une gifle, et qu'il n'en pouvait plus de vivre sans espoir. Des centaines de millions d'êtres humains vivent sans futur, privés de leur droits politiques, économiques, et de leurs droits fondamentaux. Les citoyens des pays riches les ignorent jusqu'à ce que les images de la télévision en fassent des héros. Ils servent alors un objectif qu'ils n'ont jamais envisagé. Comme Diana qui savait réconcilier le peuple avec la frivolité des nantis. Comme Bouazizi qui a donné un visage à une révolution qui sans lui aurait été accueillie avec l'incompréhension habituelle, voire la suspiscion, que les Occidentaux ont pour les accès de rage des peuples privés de présent et de futur. Voila qui est déjà une bonne chose. Mais la comparaison de mon ami n'en a pas moins révélé un autre aspect terrible du monde que nous raconte la télévision. C'est l'émotion provoquées par les morts de Diana ou de Bouazizi qui nous animent. Et nous habitent. Elles se confondent dans la même nostalgie d'une innocence perdue, d'un monde de bonté et de beauté qui n'a jamais existé. Elle nous fait oublier que ce monde reste à construire, et que ce sont des hommes et des femmes sans nom et sans visage qui devront le bâtir.


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