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Alexandre Soljénitsyne

Publié le 04 mars 2011 par Copeau @Contrepoints

Alexandre Soljénitsyne, En finir avec l’idéologie (Solzhenitsyn, The Ascent from Ideology), le livre du professeur de philosophie politique américain Daniel J. Mahoney, par aileurs connaisseur de Raymond Aron, est une formidable mise au point sur la personne et le message du plus célèbre des dissidents soviétiques.

Soljénitsyne, envoyé au goulag pour des motifs dérisoires, comme tant d’autres, sut trouver la force pour se conserver et se construire. Témoin de la vérité, il fit connaître en occident la réalité de l’univers concentrationnaire soviétique, envers du mensonge totalitaire. Si d’autres personnages avaient déjà pu faire connaître cette réalité aux esprits éclairés, c’est véritablement Soljénitsyne qui va dissiper les résistances intellectuelles et fournir la description du système.

Mais l’œuvre de Soljénitsyne ne s’arrête pas là, le plus important est à venir. Quand Soljénitsyne vient s’exprimer sur les plateaux télé occidentaux, c’est la douche froide car le zek refuse de jouer la partition prévue : non seulement témoin du totalitarisme, il se fait aussi critique du modèle occidental. Soljénitsyne aurait pu renforcer les certitudes dans le caractère absolument bon du modèle occidental, à travers le caractère absolument néfaste de l’ennemi soviétique. Tel n’allait pas être le cas, Soljénitsyne attribuant des racines communes aux deux modèles. Sans aucunement les mettre à égalité, Soljénitsyne cherchait à sortir d’alternatives satisfaites et nous invitait à aller au-delà, à critiquer, à voir les imperfections de la modernité.

Soljénitsyne rejeta ainsi la facilité et lui préféra un témoignage qui devait le conduire à la solitude. Sa critique fut rapidement dévalorisée comme les divagations d’un réactionnaire nationaliste, antisémite etc. Le héros devenu gêneur fut discrédité. Il était trop difficile, trop désagréable de comprendre pourquoi le plus grand critique de l’URSS se refusait d’être le champion de l’occident.

Le livre de Daniel J. Mahoney, biographie intellectuelle, nous montre à quel point le message de Soljénitsyne a été mal compris et dénaturé. Il nous révèle un Soljénitsyne plus prudent et plus libéral que celui retenu par le public. Il nous présente le message de Soljénitsyne en faveur de l’autolimitation et du juste milieu.

Ce que Soljénitsyne n’est pas

À grand renfort de citations, Mahoney démonte les idées reçues qui se sont constituées sur la tête de Soljénitsyne.

Un réactionnaire ?

Sur le plan moral – Soljénitsyne dénonce la confusion progressiste entre progrès moral et progrès matériel. Notre société moderne génère celui-ci mais celui-là n’y est pas lié. Au contraire, en nous absorbant dans la quotidienneté elle nous coupe des questions morales que nous devons nous poser.

La critique de la modernité est certaine, elle n’est cependant pas une apologie du passé. Dans un passage du fameux discours de Harvard se trouve une clé : « The Middle Ages had come to a natural end by exhaustion, becoming an intolerable despotic repression of man’s physical nature in favor of the spiritual one. Then, however, we turned our backs upon the Spirit and embraced all that is material with excessive and unwarranted zeal. »

Ainsi le Moyen-Âge et la modernité tombent-elles dans des excès inverses entre lesquels il faut trouver le juste milieu, entre les besoins du corps et de l’âme.

Sur le plan politique – Soljénitsyne dresse dans son œuvre l’éloge de Piotr Stolypine, dernier homme politique russe d’envergure avant l’accession au pouvoir des Bolcheviques. L’éloge révèle l’idéal de juste milieu mais aussi du libéralisme prudent qui anime le zek, favorable à une démocratie tout en la sachant imparfaite, ce qui est la position libérale par excellence. Piotr Stolypine est l’homme qui, tel Turgot, a tenté de réformer son pays avant qu’il ne soit trop tard. Mais en libéralisant l’agriculture, il était l’ennemi aussi bien des révolutionnaires communistes que des forces traditionnelles de la noblesse et du clergé. Pour Soljénitsyne, Stolypine est en plus de l’homme politique idéal et désintéressé le véritable libéral, contrairement à ceux qui portent ce nom à l’époque en Russie, des progressistes qui jouent le jeu des révolutionnaires et croient qu’à l’abolition de l’autocratie succéderait un régime forcément meilleur.

On le voit, le message de Soljénitsyne est plus complexe qu’on voudrait le croire. Mahoney nous montre que la critique de la modernité de Soljénitsyne n’en fait pas pour autant un réactionnaire. Il écarte ainsi une alternative manichéenne. Mahoney écarte également d’autres reproches : nationaliste ? non, antisémite ? non, antidémocratique ? non plus.

Dénoncer le mensonge et préconiser l’autolimitation

L’idéologie est mensonge. Elle nie la nature humaine. Et paradoxalement elle en a démontré la résilience par l’échec de ses projets de reconstruction de l’homme.

L’idéologie est justification du mal : « L’idéologie ! C’est elle qui apporte la justification recherchée à la scélératesse […]. C’est la théorie sociale qui aide le scélérat à blanchir ses actes à ses yeux et à ceux d’autrui. » L’idéologie nous trompe sur la nature du mal. Elle situe celui-ci non dans le cœur de l’homme, dans une part de sa nature, mais dans un camp ennemi. Elle nous dit que le mal n’est pas nécessaire mais une contingence attachée à ce camp, justifiant la haine et la destruction.

Soljénitsyne propose que chacun s’autolimite, conformément à ce que prône le christianisme. Un pendant de l’autolimitation est la défense de la propriété privée, sans laquelle l’autolimitation est sans objet. Outre l’autolimitation, la prudence, Soljénitsyne invite au repentir, qui recoupe l’idée de ne pas chercher le mal en autrui. Protéger la nature, épargner les ressources sont encore des préoccupation de Soljénitsyne.

L’autolimitation commande que l’homme questionne d’abord son propre cœur avant de chercher à éliminer le mal chez autrui, avec pour justification l’idéologie. Soljénitsyne nous livre ici une clé de compréhension du monde moderne, monde dans lequel des groupes politiques de toutes sortes entrent en compétition pour désigner à la vindicte le groupe ennemi du peuple et de l’intérêt général :

« Cela fait maintenant un bon demi-siècle que nous sommes mus par la conviction que la faute incombe au tsarisme, aux bourgeois, aux sociaux-démocrates, aux gardes-blancs, aux popes, aux émigrés, aux saboteurs, au koulaks, aux semi-koulaks, aux ingénieurs, aux parasites, aux « fractionnels », aux ennemis du peuple, aux nationalistes, aux sionistes, aux impérialistes, aux militaristes et même aux modernistes – à tout le monde sauf à toi et moi ! Autrement dit, ce n’est pas à nous de nous corriger, c’est à eux ! Seulement, eux ne veulent pas, eux s’entêtent. Alors comment les corriger sinon par la baïonnette ? »

Aujourd’hui il semble que la crise des subprimes a enterriné le rôle des libéraux dans celui des méchants. C’est une croix à porter mais aussi une chance extraordinaire. Mieux vaut tenir ce rôle qui permet de voir la vérité sans fard que hurler avec la meute.


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