Mais avec Les Leçons du mal, la donne n'est pas la même.
Jack Branch est professeur au lycée de Lakeland, petite ville du Mississipi où il a grandi, vécu et où, certainement, il mourra. Ses souvenirs l'emmènent en 1954 où se sont déroulés les tragiques événements dont il se sent responsable. A l'époque, l'idée lui était venu de mettre en place un cours de rattrapage consacré au Mal sous toutes ses coutures, envisagé selon ses différentes déclinaisons, toutes époques confondues. Jack, non sans une certaine pédanterie, se sentait investi d'une mission consistant à éveiller les consciences de ses élèves.
J'espérais que cela les ferait réfléchir, frapperait leur conscience, au moins quelques secondes , et j'avais décidé depuis longtemps déjà que, même si je devais me servir d'un outil rudimentaire pour ouvrir un peu leur esprit provincial farci de religion, je n'hésiterais pas.
Et pour donner corps à ses pensées, il avait pris sous son aile l'étudiant le plus effacé, celui en qui personne ne croyait : Eddie, Miller, le fils du « Tueur de l'étudiante ». Mieux, il lui avait proposé d'établir son devoir de fin d'année sur son père et les circonstances de son acte. En l'incitant de la sorte à soigner le mal par le Mal, il allait en fin de compte devenir le grain de sable faisant voler en éclats les rouages d''une petite ville du Sud des Etats-Unis reposant encore sur des oppositions de classes et de couleurs de peau avec, en arrière-plan, les cicatrices engendrées par la Guerre de Sécession.
Avec ce livre là, Thomas H. Cook réussit un véritable tour de force. Jusqu'à la fin, le lecteur ne sait rien du drame qui s'est joué en 1954 et se trouve très vite enferré par la chape de mystère suggéré par le roman. Jack Branch, le narrateur donc, émaille son récit de comptes-rendus d'un procès sans que l'on sache jamais rien de la nature de celui-ci. Quelle crime a été commis ? Qui est inculpé ? Pourquoi ? Toutes les hypothèses sont possibles. Présent et passé s'entremêlent, parfois de façon volontairement abrupte, de sorte à nous décontenancer un peu plus, sans jamais nous perdre en route pour autant. Des pistes s'ouvrent, se referment, le drame toujours en ligne de mire. Et ce sont les personnages, tous magnifiques, vivants, obsédants, faillibles qui lui donnent corps, entretiennent les doutes et donnent envie d'aller jusqu'au bout, de démêler l'écheveau de cette histoire pourtant simple et humaine, mais qui démontre de façon magistrale combien le mal, lui, est difficile à rationaliser et à appréhender ; qu'on a beau l'analyser, le quantifier et vouloir le faire rentrer dans des cases, il trouve toujours les voies les plus insoupçonnées pour se manifester et induire la souffrance.
Un roman bouleversant et beau. Voilà.