Sans surprise, Nicolas Sarkozy s'est réfugié derrière l'héritage chrétien de la France quand il visita la cathédrale du Puy-en-Velay, jeudi 3 mars, lors de cette première étape de son Tour de France des terroirs. Ainsi a-t-on baptisé cette tournée électorale pour le scrutin de 2012. Cette cathédrale est aussi la première étape des processions catholiques vers Saint-Jacques de Compostelle. Tout un symbole. Mais comment reprocher à Nicolas Sarkozy d'apprécier les belles églises de France lors du visite consacrée à la sauvegarde du patrimoine national ? C'est en fait assez simple. Il fallait écouter son discours, observer son extase, se rappeler ses anciens propos, ou sa récente idée, lancée voici 3 semaines, d'un débat sur la compatibilité de l'Islam avec l'identité française. Un débat aussitôt fustigé et enterré par quelques ténors de son camp y compris François Fillon.
Terroir électoral
Le patrimoine national est-il menacé ? Il faut bien le croire, puisque Nicolas Sarkozy avait bloqué une grosse matinée et un déjeuner pour ne parler que de cela. L'actualité est pourtant particulièrement chaude. A Paris, son premier ministre dévoilait les principaux contours de la réforme fiscale. On croyait que c'était l'une des priorités de cette fin de mandat. En Libye, des dizaines de milliers de réfugiés s'accumulent aux frontières tunisiennes et égyptiennes. Dimanche dernier, Nicolas Sarkozy nous expliquait combien ces incroyables et imprévues révolutions arabes l'avaient conduit à remanier une nouvelle fois son gouvernement. Le chômage ? Mardi dernier, il avait lâché quelques fausses promesses pour favoriser l'apprentissage des jeunes, un mélange de rallonges sur des budgets qu'il avait lui-même coupé et d'annonces anciennes de plusieurs mois. Service minimum pour une cause pourtant nationale. On croyait enfin que le Monarque nouveau président du monde, c'ets-à-dire du G20, avait une tâche immense et difficile à travailler à une meilleure régulation du monde de la finance et des marchés de matières premières.
Non, ce jeudi 3 mars, donc, Nicolas Sarkozy ne voulait parler que de patrimoine national. Y-aurait-il menace ? Oui, bien sûr. La menace est électorale. Depuis 18 mois, Nicolas Sarkozy tente de s'emparer de la thématique identitaire contre l'OPA frontiste. Débat sur l'identité nationale, discours répétitifs sur l'identité agricole, discours identitaire de Grenoble contre l'Immigré Délinquant... Il a tout essayé. En vain. Il reste bloqué dans les bas-fonds des sondages, et la blonde Marine fille de Jean-Marie s'affirme chaque jour un peu plus.
N'y avait-il qu'une cathédrale pour illustrer la richesse de notre patrimoine ? Non, bien sûr. Mais il faisait d'une pierre trois coups : un clin d'oeil appuyé à l'électorat dit catholique ; un autre pour les supporteurs frontistes sur l'identité nationale, et une belle illustration de l'image qu'il veut donner de lui : proche des gens et des terroirs.
Extase du candidat
Au Puy-en-Velay, le candidat visita donc d'abord la cathédrale du coin, avec le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, son conseiller préposé aux discours Henri Guaino, et le jeune ministre et maire de la bourgade Laurent Wauquiez. Seuls les journalistes de l'AFP furent autorisés à suivre le cortège présidentiel à l'intérieur de l'église. On voulait sans doute éviter quelques photos provocatrices d'un Sarkozy faisant le signe de croix.
A l'écart, d'horribles contestataires avaient tenté de faire entendre leur voix. Comme toujours, les lieux avaient été bouclés. Des gaz lacrymogènes furent lancés, selon le quotidien local La Montagne. Dans la nouvelle salle de l'hôtel-Dieu, voisin de quelques mètres, quelques 300 personnes durent attendre le candidat une bonne heure. Son discours fut bref, d'une trentaine de minutes.
« En gravissant tout à l'heure les marches qui conduisent à la cathédrale du Puy-en-Velay, comme l'ont fait avant moi, et cela depuis bientôt 10 siècles, des millions de personnes, j'ai été très ému, et j'ai été, comme eux, saisi par la majesté immense de cet immense reliquaire de pierre...» Le catholique Nicolas s'emballe... « Il y a près de 1000 ans, les architectes inspirés qui ne disposaient d'autres moyens techniques que leur talent... et que leur foi ... » Il lève la tête, en souriant, vers l'évêque... «... eurent l'idée folle de jeter dans le vide la nef de leur église pour l'affranchir des contraintes naturelles qui la bridait (...) Je suis heureux d'être venu ici, j'en garderai un souvenir, je vous prie de le croire, un souvenir très personnel. » Sarkozy était-il encore président ? Le Chanoine de Latran est revenu, celui-là même qui nous expliquait en décembre 2007 que « Dieu qui n’asservit pas l’homme mais qui le libère.»
C'est l'extase, chrétienne bien sûr : « Ces paysages qui nous entourent font partie de l'identité de la France. Cette idée exprimée avec tant d'intelligence par Fernand Braudel (...), ces paysages du Velay incarnent la France, au même titre que le Mont Saint-Michel, le Pont du Gard, la cité de Carcassonne, le Château de Versailles... Personne ne peut parcourir ce pays sans rencontrer son histoire, (...) une histoire tragique parfois, sublime souvent (...). Amiens, Chartres, Strasbourg, Paris, aucune de nos villes ne seraient ce qu'elle est aux yeux des Français et aux yeux du reste du monde sans ces cathédrales vers lesquelles convergent, toujours, fidèles et touristes. (...) Cet héritage, mes chers compatriotes, nous oblige. (...) Nous devons l'assumer sans complexe et sans fausse pudeur.»
On ne sait plus si Sarkozy parlait des pierres qu'il avait contemplé, ou de la religion. Ou plutôt, on sait très bien. Il y a avait comme de la provocation non assumée dans ce discours-là, une sorte d'hypocrisie à ne pas affirmer le fonds de sa pensée du moment et/ou de couardise à éviter une trop grosse provocation. Sarkozy leva les yeux de son texte, et, comme souvent, là est le danger. Il s'évade, dérape ou glisse. C'est selon.
« A tous ceux qui défendent à juste titre la diversité, je voudrais dire que sans identité, il n'y a pas de diversité, qu'à l'origine de la diversité il y a les identités, et que ce n'est pas faire preuve de fermeture que de croire en son identité pour mieux la faire partager avec les identités des autres. Mais si on ne croit pas en sa propre identité, comment peut-on partager avec celle des autres, et comment même peut-on recevoir les identités des autres? » s'interroge-t-il. On croyait qu'il fallait parler sauvegarde du patrimoine national... La menace n'est donc pas que l'usure du temps. On comprend qu'elle est culturelle.
« Il ne faut pas opposer identité et diversité. Il faut comprendre que pour qu'il y ait diversité, il faut qu'il y ait le respect de l'identité. » Sarkozy a le sourire large, comme satisfait de ces belles formules. Protéger notre patrimoine, « c'est résister à la dictature de l'immédiat, et oserais-je dire, à la dictature de l'interchangeable où tout se vaut, où rien ne se mérite plus.»
L'argument est incompréhensible. Quel mérite y-a-t-il à hériter d'un tel patrimoine ? Entend-t-il développer l'idée d'une supériorité du patrimoine français ? On est perdu. Sarkozy rappelle les efforts de rénovation financés par l'Etat. Il revient à son texte. « Assumer notre héritage, c'est tout simplement reconnaître ce que l'on est, savoir d'où l'on vient. Assumer notre héritage n'oblige personne à partager la foi des bâtisseurs de Notre-Dame du Puy » lâche-t-il quand même.
Il était temps.
Il continue : « Il est toujours dangereux d’amputer sa mémoire. (...) L’ignorance de soi conduit rarement à l’estime de soi. » Pour faire bonne figure, il ajouta une référence aux « racines juives » et à « l'influence de l islam dans notre culture.» Rien pour les Bouddhistes ou les athées ? « Nous sommes tous des citoyens romains » s'est-il permis de plaisanter...« La France tire son génie de toutes les influences qui l’ont traversée et qui lui ont laissé un peu de leurs sédiments (...) La République est laïque » s'est-il souvenu. Pour mieux ajouter : « Construire l’Europe de demain, c’est aussi continuer de suivre le chemin tracé il y a plus de mille ans par les premiers pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle.»
Sarkozy eut cette fameuse formule qui claque : « La chrétienté a laissé à la France un magnifique héritage de civilisation. Président de la République laïque, je peux dire cela. »
La salle applaudit. Cette dernière expression ne signifie pourtant pas grand chose. Sarkozy continue d'engorger son propos de références chrétiennes : « Grégoire de Tours, le plus ancien de nos historiens, dans son Histoire des Francs, évoque le sanctuaire du Puy et la synagogue de Clermont. Il écrivait il y a 15 siècles. C'est la France que nous aimons, c'est la France dont nous sommes fiers. C'est la France qui a des racines.» N'en jetez-plus, la coupe est pleine.
Sarko-rance
« Racines », « héritage », « patrimoine », « identité », la Sarkofrance sentait le rance ce jeudi gris au Puy-en-Velay. Sarkozy insiste lourdement sur les racines de la France, son patrimoine qu'il faudrait protéger. Protéger notre patrimoine, « c'est protéger l'héritage de la France, c'est défendre les signes les plus tangibles de notre identité.» Boutade facile, le Monarque évoqua les polémiques sur son projet de Musée de l'Histoire. « J'ai vu les polémiques. Pourrions-nous vivre sans polémiques ? » Il aime cela.
Ebloui par sa visite de la cathédrale, Nicolas Sarkozy s'exclame : « ce baptistère serait contemporain du sacre de Clovis... et donc de la naissance de la France ! C'est pas rien ! » Sur la tribune, il exulte presque. Et pour annoncer ensuite qu'il débloquera l'argent nécessaire à la finalisation de sa rénovation... Un petit cadeau de dernière minute... c'est toujours utile.
A peine son discours terminé, le Monarque partit déjeuner chez ... les frères et soeurs de l’ordre de Saint Jean, en présence de l’évêque local. Le symbole, toujours le symbole.
Jeudi, écouter Nicolas Sarkozy, président d'une République laïque, tenir de tels propos à l'occasion d'une visite de cathédrale avait quelque chose d'embarrassant, de honteux, et d'insupportable. A la différence du Nicolas Sarkozy du discours de Grenoble du 30 juillet dernier, qui « mettait les pieds dans le plat » des pires amalgames frontistes sur l'immigration vecteur d'insécurité en France, le Sarkozy version 2012 s'affiche plus hypocrite. Il s'accapare les thématiques préemptées par le Front National de Marine Le Pen sans nous l'avouer.
La ficelle est bien grosse, l'attitude est bien triste.