"Régalade. Dans la vallée de la Loire, le millésime 2010 renoue avec la tendresse et ce fruité sauvage qui assura autrefois son succès.
Le risque quand on monte trop haut, c'est de devoir redescendre. Après 2009 l'onctueux, le chaud, le généreux, qui n'était pas sans rappeler le fabuleux 1947 aux plus anciens, les vignerons de la Loire craignaient l'atterrissage. Du côté de Blois, en AOC touraine, Henry Marionnet appréhende toujours que le ciel ne tombe sur la tête de ses gamays : "On était inquiets... Vers le 15 septembre, le temps semblait incertain, on a démarré tôt, on a fait huit jours de vendanges, puis il est venu deux coups de flotte et les rouges rentrés après étaient moins intéressants. Nos gamays simples sont meilleurs qu'en 2009, ils ont plus d'acidité, plus de fraîcheur. Ce n'est pas le cas de nos rouges d'un peu plus de garde. Difficile de faire mieux qu'en 2009, année exceptionnelle pour nous."
Dans la partie centrale du fleuve tranquille, on flirte avec le nirvana. Claude Thomas-Labaille, en sancerre, ne cache pas son enthousiasme : "On retrouve la fraîcheur avec 2010. On a un point de plus d'acidité, moins d'alcool, on a l'équilibre. C'est plus représentatif de l'appellation sancerre que 2009. On a fait une vendange complète, pas de grêle qui nous avait pénalisés en 2009. L'appellation a produit 62 hectolitres à l'hectare en moyenne, le maximum est à 65." Même écho chez le voisin de pouilly-fumé, où Laurent Lebrun se félicite aussi de l'absence de grêle, laquelle avait frappé les deux dernières récoltes du domaine : "On retrouve une vendange normale avec fraîcheur et concentration sur nos argiles à silex."
Dans l'ensemble, les blancs secs s'annoncent frais, vifs, bien fruités. C'est le cas pour le muscadet, où les vins 2010 marient le minéral et les agrumes suivant la grande diversité de sols et de roches que comporte la région. Il s'agit sans doute d'une des meilleures appellations de vins blancs de France, mais dont la notoriété a terriblement souffert des mauvais produits mis sur le marché en grande surface dans les années 80 et 90. Les muscadets des Jo Landron, Pierre Luneau-Papin, Vincent Caillé et tant d'autres vendus par les cavistes peuvent se comparer en qualité aux chablis, mais peu de consommateurs osent les placer sur la table.
Côté rouges, les avis sont partagés et oscillent entre le très bon et le remarquable. Face au toujours pessimiste Marionnet,
l'Angevin Victor Lebreton annonce le beau fixe : "C'est mieux que 2009. Quand on a ramassé, la vigne avait moins souffert ; elle était verte et nourrissait bien le raisin."
Thierry Germain, viticulteur d'excellence, qui chaque année progresse dans sa méthode pour apprivoiser la vigne, a saisi le message qu'en retour elle lui murmure : "Il fallait cueillir vite et tôt, les degrés montaient rapidement. On pouvait perdre le fruit." Impressionnant Thierry Germain, qui a démarré dans les années bling-bling avec des vins trop concentrés et boisés et qui, depuis, n'a cessé d'affiner, de rechercher l'élégance et la pureté. Un mouvement général en loire : le retour à la délicatesse.
Aymeric et Mélanie Hillaire se sont installés en 2008 sur 4 hectares en appellation saumur-puy-notre-dame, deux jeunes surdiplômés (ingénieurs agro), avec de bonnes expériences dans des domaines renommés, comme chez Bernard Baudry, à Chinon. Ils n'aiment ni "les vins lourds" ni "le boisé coco". Deux bonnes recrues dans la reconquête ligérienne de la finesse. Même les Belges, quittant leur neutralité traditionnelle, sont de la bataille. Kathleen Van den Berghe et son mari, conseil auprès de grandes entreprises métallurgiques, après avoir bourlingué en Amérique du Sud et en Afrique, visité les grands domaines de ces pays, ont jeté leur dévolu sur Bourgueil, au grand soulagement de Daniel Estève, directeur technique du domaine et transfuge de Château Clinet, à Pomerol. Le Château de Minière, belle demeure et joli terroir, n'attendait qu'une gestion saine et un peu d'investissement pour faire parler la poudre. Daniel produisait jusque-là des bons vins à la débrouille, il va nous livrer du grand, à la hauteur de son talent. Il a lui aussi connu l'époque des vins too much, il se régale dorénavant des tanins croquants de la Loire. "
Jacques Dupont
article issu du site Lepoint.fr
" la vie ne peut se passer de la vérité du terroir et de vin de vigneron..."