Rets et désir, valises et errance (Chiharu Shiota)

Publié le 03 mars 2011 par Marc Lenot

Après les cannibales, passant devant la ménagerie de Stéphane Thidet (qui, dans le passé, a fait mieux), on arrive (à la Maison Rouge jusqu’au 15 mai) dans un parcours monumental sous une voûte sombre comme un cauchemar et légère comme un rêve, faite de fils noirs tendus comme une toile d’araignée dans laquelle on craint de se faire prendre, plein d’appréhension au moment d’y pénétrer (”After the Dream”). Ces volumes mathématiques virtuels à la Poincaré, ces ancrages et ces envols, ces murs faits de vent mais impénétrables, constituent la trame d’un parcours circulaire étrange, oppressant et fascinant à la fois. Y flottent cinq robes blanches, cinq fantômes empesés de peinture, cinq désirs fantasmés, cinq sirènes tentatrices : pour venir les caresser, on franchirait le mur de fils, on s’étranglerait dans les noeuds, on s’engluerait dans la toile piège. Ce que les fils dessinent comme des traits de fusain, ce que les robes fantômes révèlent comme dans un bac photographique, c’est un souvenir vague, imperceptible, à demi perdu, rêvé peut-être, oublié sans doute. “Home of memory” est le titre que Chiharu Shiota a donné à l’exposition.

La deuxième pièce de Chiharu Shiota est aussi une pièce de mémoire; des valises d’occasion par centaines, valises d’immigrés, valises d’exilés, valises d’expulsés, forment un abri, un toit et un mur. Tout peut s’effondrer d’un instant à l’autre, tout est précaire, nomade, déraciné. Ici et là, dans une valise, un vestige, un souvenir, téléphone, ornement de Noël  ou embauchoir de chaussure, objet dérisoire mais que l’on conserve pieusement, comme une trace, une relique, une preuve que les choses ont été autres, ailleurs, autrefois (un peu comme les souvenirs de Sarajevo de Milomir Kovačević, ou comme la clef que les Palestiniens chassés de leur terre conservent pieusement, soixante ans après la catastrophe). Ces souvenirs précieusement conservés sont-ils des ancrages ou des moteurs, “nous construisent-ils ou nous empêchent-ils d’avancer” ? (”From where we come and what we are”)

Ces deux grandes installations sont splendides, poignantes, mystérieuses, incitatrices; vous en rêverez plus après votre visite que des cannibales, je crois, car elles sont déjà du domaine du rêve.

Photos 1&3 par Marc Domange, courtoisie de la Maison Rouge; photos 2&4 de l’auteur. Chiharu Shiota étant représentée par l’ADAGP, les photos de ses oeuvres seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.