C'est bien dommage mais c'est ainsi : le public de Bastille n'a pas compris la mise en scène de l'allemand Günter Krämer. D'autant plus dommage qu'au fil de la troisième étape du Ring les choses commençaient à se mettre en place . Notamment au premier acte, où avec beaucoup de tact (même si les qualités de dramaturge de Richard Wagner sont incontestables) le metteur en scène dirigea les solistes avec beaucoup de talent et d'invention. Le "jeu de devinettes" entre Mime (éblouissant Wolfgang Abliger Sperhacke) et Tristan(non moins éblouissant Torsten Kerl) permettait un rappel pédagogique digne des "Si vous avez manqué le début" de Télé 7 dans les seventies. J'avais pourtant révisé en me repassant la version limpide de la Walkyrie selon Cassiers pour être sûr de ne pas perdre mon latin . Eh bien cela me fut tout de même fort utile pour comprendre les arcanes de ce Walhala -là. Après ce premier acte intense lors duquel le jeune Jordan confirma tous les espoirs de sa bonne réputation et dont on eut bien besoin de se reposer pendant un entracte de 45 minutes, le retour du nain voleur Alberich(Peter Sidhom) et surtout l'arrivée de Stuart Milling en Fafner reptilien aux basses abyssales réveillèrent un public assoupi par l'apprentissage de l'enfant turbulent. Car ainsi est Siegfried. Avant tout, c'est un enfant pénible. Bien avant que devenir le symbole de l'homme allemand réunifié , schizophrénisé, morcelé il arbore une coupe de rasta avec les tresses blondes. Un petit bourgeois de plus selon Adorno .Le théoricien de l'Ecole de Francfort avait d'ailleurs une bien curieuse analyse de l'oeuvre.
Blond comme une bière allemande
Que voir dans Siegfried ? Un mythe allemand , sinon le mythe allemand. Et surtout, un crépuscule qui s'annonce. Un crépuscule pour les Dieux. Wotan , déguisé en mendiant homérique (exceptionnel Wanderer que celui de Juha Uusitalo) va en faire les frais comme si cette fin annoncée , ce crépuscule (illustrée par les lettres de Germania, explosées sur le grand escalier qui monte au ciel) annonçait dans le même temps l'aurore de l'homme et de l'humanité. La forêt, la nature, les animaux jouent un rôle considérable comme représentants de l'éternité. Elena Tsallagova qu'on connut récemment renarde et rusée prête sa voix mélodieuse à un oiseau charmant éclaireur du jeune et blond Siegfried. Le public n'a pas été sensible aux décors de l'oeuvre où on pouvait noter pourtant d'étonnantes surimpressions comme cette bibliothèque divine inspirée de la Salle Labrouste ou cet escalier monumental du troisième acte sur lequel se meuvent avec la plus grande difficulté Brigitte Pinter (Brünnhilde tétanisée par le vertige)
Dommage donc, car le Ring est une oeuvre qu'il faut apprécier dans son ensemble.