Par Jean-Yves Naudet
Un musée virtuel à €12.000 par objet présenté !
Commençons par l’exercice habituel : quelques dérapages spectaculaires, voire scandaleux, relevés par la Cour. Dans ce registre, on admirera le musée du sport virtuel. Il a rassemblé une collection de 600.000 pièces, mais ce musée n’existe pas ! Il n’a pas de galerie permanente, on ne peut accéder à la collection. Un musée imaginaire, qui présente maintenant dans des locaux loués par le ministère des sports, 350 objets (0,05% de la collection), espace qui a coûté… €12.000 par objet présenté, avec une moyenne de… 50 visiteurs par jour. Voilà l’argent des impôts bien utilisé.
J’espère en revanche que vous allez aimer la banane antillaise. Les aides agricoles s’élèvent à €15.000 par hectare pour les planteurs des Antilles, soit trente fois plus que la moyenne des aides par hectare (pourtant bien coûteuses) reçues en métropole. Pour sauver les emplois ? Pas du tout, l’emploi a reculé de 38% en Martinique et de 47% en Guadeloupe dans ce secteur. Le pesticide toxique utilisé a entraîné en outre la fermeture de la moitié des exploitations aquacoles. Cette habile aide à l’agriculture fait que les Antilles importent cinq fois plus de produits agricoles qu’elles n’en exportent. Voilà qui est efficace.
L’argent jeté par les fenêtres
Mais d’autres dépenses publiques sont sûrement plus utiles. Prenez par exemple les aides à l’exportation : a priori voici de quoi dynamiser notre économie et nos emplois. Mais l’aide est dispensée à travers trois organismes dont les interventions ne sont pas coordonnées. Ubifrance aide les entreprises. Mais la Coface aussi joue un rôle. Et Oséo met aussi son grain de sel. Mais qui fait quoi ? Le résultat le plus clair, c’est que toutes ces aides permettent essentiellement à des entreprises d’exporter… une seule fois. C’est sans doute ce qu’on appelle le développement durable. Il est vrai que ces aides ne coûtent que 500 millions. Une misère. De plus une partie de l’aide est une incitation à délocaliser. Mais était-ce l’effet recherché ?
Qu’on se rassure, il y a aussi d’heureux bénéficiaires. Les 7.200 ouvriers d’État des parcs et ateliers posent des glissières de sécurité ou font des marquages au sol. Très bien. Peu importe que le tiers ait été recruté sans contrat en bonne et due forme, et que le ministère ait ignoré leur nombre jusqu’à l’an dernier. Ce qui fait plaisir, c’est que ces ouvriers d’État reçoivent une retraite supérieure de 30% à celle d’un fonctionnaire de même grade. Il y en a aussi 800 qui sont rattachés à la DGAC (Direction générale de l’aviation civile). Leurs effectifs ont diminué de 4%, tandis qu’en trois ans leur masse salariale était augmentée de 29%. Cela permet à ces ouvriers de gagner au bout de 20 ans €3.600, plus 20% pour les chefs d’équipe (une équipe, c’est deux personnes ! dur encadrement). Leur retraite est sympathique et conduit la caisse qui la sert à être en déficit de 75% seulement… Le déficit sera compensé par l’État : de quoi faire plaisir aux contribuables de base.
Mais il y a heureusement les énergies de demain, sur lesquelles reposent tous nos espoirs. Le financement des « énergies vertes » est assuré par la CSPE (Contribution au service public de l’électricité), que vous payez avec votre facture EDF. À peine €1,7 milliard pour cette mini-taxe. La Cour regrette vivement que le taux et les conditions de ce prélèvement ne soient pas autorisés par le parlement. Mais est-elle bien raisonnable ? Faut-il demander l’avis des parlementaires, au lieu de laisser nos ministres décider seuls ? N’y a-t-il pas une Commission interministérielle de l’énergie qui a toute compétence ? La Cour dénonce le procédé, peu démocratique. Elle va même – ô scandale ! – jusqu’à s’interroger sur la pertinence de ces énergies nouvelles et à se demander si c’est bien au consommateur d’électricité de payer.
Une rigueur bien peu rigoureuse !
Voilà donc seulement quatre exemples parmi des centaines. Rappelons encore le rapport de la Cour sur la « pénibilité » du travail effectué par les grutiers du port de Marseille, dont le sort malheureux a été dénoncé dès le début par la Nouvelle Lettre.
Mais cette année la Cour des comptes n’en est pas restée là. Sans doute sa fonction n’est-elle que technique et comptable. Mais peut-être à cause de la personnalité de son président Didier Migaud (naguère député du parti socialiste et président de la Commission des Finances de l’Assemblée), la Cour tient des propos qui apparaissent très politiques, et du pire politique qui soit : de l’ultra-libéralisme (d’après les critères habituels). Sans doute la Cour ne va-t-elle pas jusqu’à prôner le grand soir des dépenses publiques, ni jusqu’à imaginer l’État minimal. Cependant, elle émet de sérieux doutes sur les orientations du gouvernement. Elle ose dire que si la France veut ramener son déficit public à 3% du PIB en 2013, elle devra prendre des mesures autrement plus sévères de réduction des dépenses publiques. Autrement dit, la « rigueur » actuelle n’a rien à voir avec une vraie rigueur. Pourtant le gouvernement a cherché à rassurer Bruxelles en annonçant 100.000 fonctionnaires de moins en trois ans, et dix milliards de hausse d’impôts. L’ennuyeux c’est que la Cour des comptes aime bien… les comptes. Il faudrait selon elle 20 milliards d’économie chaque année.
Ne voilà-t-il pas que M. Migaud, qui a du adhérer à l’aile ultralibérale du PS, déclare même qu’on « ne s’interroge pas suffisamment sur l’utilité de certaines politiques publiques ». Les dépenses publiques augmentent cette année de 1,4% (c’est ça la rigueur selon le gouvernement). C’est trop pour espérer réduire le déficit comme il le faudrait. M. Migaud ose même dire (ce qui figurera donc sûrement dans le programme électoral du candidat socialiste) qu’il faudrait geler sur au moins trois ans la valeur du point d’indice servant au calcul du salaire des fonctionnaires. François Barouin y est fortement opposé, et a critiqué Jean Claude Trichet pour avoir émis cette idée saugrenue.
Caveant consules
Les savants calculs de la loi de programmation des finances publiques prévoyaient que le déficit public qui a été de 7,7% du PIB en 2010 baisserait désormais chaque année : 6,0%, puis 4,6%, pour aboutir à 3% en 2013 (c’est-à-dire à peine dans les clous des traités européens). La Cour est formelle : on n’y arrivera pas, et de loin. D’ailleurs, selon le gouvernement lui même, en dépit de déficits courants moindres, la dette publique continuerait à progresser : 82,9% du PIB en 2010, 86,2% en 2011, 87,4% en 2012 : cette rigueur fait froid dans le dos ! Comme les déficits n’auront pas diminué suivant le schéma prévu, on sera donc au delà des 90% (60% maximum selon les traités européens). L’ultralibéralisme, vous dis-je.
La Cour des comptes n’a pas vocation à définir une politique. Elle se contente de faire des calculs. Son calcul est simple : les gaspillages n’ont jamais été aussi importants, d’une part, et d’autre part, avec la soi-disant politique de rigueur actuelle, on ne réduira pas assez les déficits publics pour respecter nos engagements européens. En clair, les dépenses publiques françaises seront toujours les plus élevées du monde libre à près de 55% du PIB. M. Migaud souhaiterait qu’elles tombent à 52% environ : l’ultralibéralisme, vous dis-je : plus de 50% du PIB en dépenses publiques, et 45% en prélèvements obligatoires, effectivement !
Pour conclure, sans doute la Cour permet-elle de se rendre compte du décalage entre les discours et la réalité. Mais ni elle, ni encore moins le gouvernement, ne dit la vérité : la France bat tous les records d’étatisme. La question n’est pas de ramener, même si c’est un point important, les déficits de 7 à 3%. La question est de réduire drastiquement les dépenses publiques. Relisons l’avertissement de Turgot à Louis XVI : « Point de banqueroute, point d’emprunt, point d’augmentation d’impôts. Il n’y a qu’un moyen, c’est de réduire la dépense en dessous de la recette, et assez au dessous ». C’était en 1774 ; en 1776, Louis XVI limogeait Turgot. Treize ans plus tard, nous étions en 1789. Caveant consules !