On ne peut pas aimer quelqu'un, c'est une fantaisie. On ne peut pas aimer. Aimer est ce qui est essentiel, ce n'est pas
quelque chose que l'on puisse faire ou non. Quand on arrête de faire, il reste l'amour.
Généralement, on aime quelqu'un s'il correspond à notre fantaisie. Si la personne que vous aimez se met à faire ceci ou
cela, soudain vous ne l'aimez plus. Un amour qui commence et qui finit, ce n'est pas de l'amour.
Aimer, c'est écouter, être présent. Vous aimez vos enfants dans le sens où vous ne demandez rien à vos enfants; vous donnez
tout.
L'ego ne peut pas aimer. Il utilise, il prend, il se sécurise.
Ce que j'aime, c'est ce qui est présent, ce qui est devant moi - il n'y a rien d'autre. Si je n'ai pas l'idéologie que la
beauté est là-bas, que la sagesse est là-bas, que pourrait-il y avoir de plus beau, de plus extraordinaire que ce qui se présente à moi dans l'instant ?
À un moment donné, vous vous rendez compte que vous n'avez pas besoin d'aimer ni d'être aimé. Que reste-t-il alors ? Il
reste le sentiment d'amour, cette communion qu'on a avec tous les êtres. Vous voyez que personne ne vous a jamais aimé, que personne ne vous aimera jamais et que tout va très bien. Vous réalisez
que c'est à vous d'aimer. Ce qui vous rend heureux, c'est d'aimer... Quand j'aime mon corps, mon psychisme, mon environnement, il y a tranquillité. Mais vouloir être aimé est un concept
!
Quand vous aimez, vous n'aimez pas quelqu'un, vous aimez tout court. La personne avec laquelle vous vivez, couchez, allez
au cinéma, c'est autre chose. Vous ne pouvez pas coucher, habiter avec tout le monde. Une sélection organique se fait, mais l'amour ne se situe pas là... C'est purement chimique. Selon ce à quoi
ressemblait votre père, votre grand-père, selon qu'à trois ans vous avez été battu ou caressé... Ce n'est pas parce que vous ne vivez pas avec une femme, que vous l'aimez moins qu'une autre avec
qui vous vivez.
Vous vivez avec quelqu'un fonctionnellement, avec tout le respect, l'écoute que cela implique ; mais vous n'êtes pas obligé
de croire que vos enfants sont vos enfants, que vos parents sont vos parents, ni que votre mari est votre mari. Ils le sont, bien sûr, occasionnellement.
L'amour, on n'en a surtout pas besoin. Le besoin d'être aimé, c'est comme le besoin d'avoir une voiture de sport rouge...
C'est une fantaisie. C'est vous qui aimez : vous aimez ce que vous rencontrez. Quand vous êtes avec un ami, vous l'aimez totalement. Là il y a une satisfaction profonde. Mais si j'ai besoin que
cette personne m'aime, je passe ma vie dans la misère...
Aimer c'est écouter. Vous êtes en face d'une situation, avec un homme : vous l'écoutez. Écouter ce qu'il est, pas ce qu'il
prétend être. Écouter profondément, sans commentaire. Quand vous écoutez, vos enfants sont parfaits, votre mari est parfait, vos parents sont parfaits, votre corps est parfait, votre psychisme
est parfait ; telle est la vision claire qui vient avec l'écoute. Lorsque je pense que mes enfants, mon mari, mon corps doivent changer, c'est que je n'écoute pas ; je parle, j'ai une idéologie
de ce qui est juste ou pas. Je veux que les autres soient comme je décide qu'ils devraient être. Ce fascisme psychologique n'a pas de sens.
Dans ce sens là, aimer c'est respecter. Je respecte mon environnement, mon enfant - dans tout ce qu'il fait, même s'il se
détruit, mon mari, mon père, la société et toutes les violences que j'ai subies ; je respecte ce qui est là. Cela ne justifie rien, je n'ai rien à justifier. La vie n'a pas à être justifiée, elle
est ce qu'elle est. Voir clairement ce qui est là, c'est-à-dire voir que mes parents, mon mari, mes enfants, mon corps, mon psychisme ne peuvent pas être d'un millimètre différents de ce qu'ils
sont. Je fais face à la réalité, non pas à ce que la réalité devrait être selon ma fantaisie intellectuelle. Le voisin est exactement comme il doit être, il ne peut pas être autrement. Quand je
vous clairement comment fonctionne mon voisin, j'ai de bons rapports de voisinage. Je ne suis pas forcé de participer à la vie communautaire, mais je ne peux plus avoir en moi la moindre critique
à l'égard de mon voisin. Quand il bat sa femme, je comprends profondément que c'est la souffrance terrible où il est qui l'amène à battre sa femme. Cela ne m'empêche pas, dans certains cas,
d'appeler la police ou d'intervenir...
Dans une absence totale de critique, il y a place pour une compréhension envers la situation. J'appelle cela respect.
Certains l'appellent amour... Laisser les gens libres ; les gens m'aiment, les gens ne m'aiment pas - c'est merveilleux ainsi. Avoir besoin d'être aimé, c'est le fruit d'une époque
décadente.
Il faut aimer. J'aime mon mari, qu'il m'aime ou qu'il ne m'aime pas... Quand je dis ne pas aimer quelqu'un, je nie l'amour
qui est en moi, alors je souffre. Lorsque mon mari ne m'aime pas, c'est qu'il souffre, donc je dois l'aimer encore plus. Mais s'il m'aime, il a de la chance, il est heureux.
Avoir besoin d'être aimé est une forme de maladie très intense. Au niveau somatique, c'est terrible, comme la jalousie :
cela détruit vraiment le système hormonal, cellulaire. Ce besoin d'amour est un poison. Le remède, c'est d'aimer.
Il ne faut pas trouver cela déprimant ; c'est le contraire. C'est merveilleux d'aimer, d'être totalement attentif à
quelqu'un, comme avec un enfant... On aime l'enfant comme il est maintenant, à chaque instant... c'est complètement gratuit... sans jamais rien demander...
Si un jour, par la nature de la vie, il y a séparation d'avec la personne qui a vécu dix ans avec vous, d'abord vous verrez
que cet amour ne vous quitte pas et ensuite, si vous aimez profondément cette personne, il y aura une immense facilité pour vous de comprendre qu'elle a besoin de rencontrer quelqu'un d'autre -
et, éventuellement, vous aussi.
Plus vous vous familiarisez avec l'attitude de tout donner et de ne rien demander, plus vos relations affectives deviennent
simples, faciles, harmonieuses. Dès l'instant où vous demandez la moindre chose, il y a amertume, déception, regrets, hésitation, agitation, conflit.
Cela se transpose à tous les niveaux : tant que j'attends la moindre chose de mon corps, je vais être déçu. Tant que
j'exige, que je demande, j'aurai problème, conflit, je vais vouloir, je vais être constamment vaincu par le corps. Jusqu'au moment où je me rends compte que c'est le contraire, que c'est moi qui
dois donner, aimer. J'aime mon corps comme il est, avec ses maladies, ses limites, ses faiblesses, ses accidents. Il y de très bonnes raisons pour être ainsi, il n'y a pas de hasard. Ce qui ne
veut pas dire que cela ne va pas changer ; mais je me rends disponible pour que mon corps puisse s'exprimer, en tant que santé et en tant que maladie. Mais si je demande quelque chose à mon
corps, je veux utiliser mon corps, c'est encore de la dictature d'imposer la santé - comme les gens qui imposent leur vision alimentaire, leur idée de la santé, du sport, etc. C'est une forme de
violence. J'écoute mon corps, mon corps transmet ce dont il a besoin, il me suffit d'être disponible. À ce moment, on comprend ; on comprend pourquoi son mari ou sa femme agit comme cela,
pourquoi son corps a telle ou telle faiblesse, on comprend que ce n'est pas une malédiction mais une nécessité. Chaque fois que mon corps a une faiblesse, je comprends que c'est un cadeau qui me
permet de découvrir en moi une faiblesse autrement plus importante : la faiblesse mentale qui me pousse à croire que mon corps doit être sans faiblesse. La voilà ma faiblesse ! ... si la
faiblesse du corps me fait me sentir faible, c'est que j'ai besoin de faire face à ma faiblesse psychologique... Et la faiblesse de mon corps m'aide à m'interroger. Tout ce qui me touche est ce
qui me mûrit.
L'amour dans le sens mondain, c'est l'absence d'amitié. C'est un échange de business : tu me donnes ceci, je fais cela ; je
ne couche pas avec la voisine, tu ne couches pas avec le voisin, on est fidèles. L'amitié, c'est être disponible à tout ce qui est possible. On n'est pas obligé de savoir si on est l'amant, le
mari, l'ami, le père, l'enfant; il y a un tas de rôles humainement possibles. Dans notre société, il faut tout savoir. Or, à un moment donné, on ne se situe plus en fonction de ces rôles; tout
est souple et, si on rencontre quelqu'un, on n'a pas de rôle. Le rôle se crée dans l'instant.
C'est facile, les relations humaines, très facile : il suffit d'aimer ce que l'on rencontre.
Aimer, c'est donner de la liberté.
Là il ne peut plus y avoir de conflit psychologique, on ne peut pas se fâcher.
Si vous n'avez pas l'idée que vous aimez quelqu'un, vous n'avez pas forcément besoin non plus d'en changer tous les dix
ans. Vous savez qu'avec une autre ce sera pareil - on rencontre uniquement sa propre problématique. On peut passer toute une vie sur un rapport merveilleux, à approfondir ce rapport : c'est un
rapport d'amour, dans le sens où l'on aime profondément ce qui est là, un rapport sans demande. Sinon, il y a toujours déception.... La demande est un manque de respect. Dans mon accueil de ce
qui se présente, le non-besoin s'épanouit et je réintègre mon axe supra-personnel.
Extraits de la revue 3eme millénaire, hiver 2001, No 62
Thème: Affection, Compassion et Amour.
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