Un article qu'illustrent de superbes clichés pris tout récemment par Tifet, une fidèle lectrice, dans le temple d'Hathor, au nord du village des ouvriers de Deir el-Médineh, site à propos duquel j'avais déjà eu l'opportunité de vous entretenir, amis lecteurs, le 25 avril 2009, ainsi que les 2 et 9 mai suivants, en vous proposant la lecture d'extraits de rapports des fouilles que, pendant une trentaine d'années - de 1922 à 1951 -, y avait menées l'égyptologue français Bernard Bruyère (1879-1971), m'a donné envie d'exceptionnellement intercaler aujourd'hui, juste avant le congé de Carnaval belge, un ultime billet aux singes consacré et plus particulièrement à un comportement rituel que les anciens Egyptiens leur attribuaient.
(Immense merci à Tifet d'avoir accepté de m'envoyer son cliché, sans hésitation aucune, avec l'amabilité qui déjà caractérise et ses commentaires sur mon blog et sa façon de tenir le sien, pour illustrer la présente intervention et d'ainsi me permettre de le commenter à sa place.
C'est avec énormément de reconnaissance que je vous
dédie cet article, chère Tifet, voire même, si cela vous intéresse, que je vous l'offre pour le proposer à vos lecteurs sur votre blog à la suite de ladite photographie.)
Sis au nord du village des ouvriers, le petit temple ptolémaïque édifié en partie par
Ptolémée IV Philopator au 3ème siècle avant notre ère sur les ruines d'un précédent sanctuaire, de quelque 15 mètres de longueur pour seulement 9 de largeur, présente la particularité
d'abriter trois chapelles juxtaposées honorant des divinités divinités.
Permettez-moi, amis lecteurs, de ne point ce matin me consacrer à une description du
monument en lui-même, préférant axer cette mienne intervention sur le tableau que nous avons ci-dessus sous les yeux. Nonobstant, je m'en voudrais de vous laisser dans l'ignorance le concernant.
Aussi, en plus du blog de Tifet qui prévoit d'en publier bientôt d'autres photos, je vous convie à visiter le site de
Paul François qui lui a notamment réservé une page complète assortie d'un plan dynamique.
C'est sur le mur est de la chapelle centrale, celle dédiée à Hathor / Maât, que fut gravée et peinte cette scène particulière en dessous d'une ligne de hiéroglyphes incisés sous une frise décorative bornant la paroi sur toute son étendue, à la limite d'un plafond qui, à l'origine, dut être constellé de bien plus d'étoiles dorées que celles subsistant en son angle de droite.
Ceux parmi vous, amis lecteurs, qui me font l'honneur et le plaisir de suivre un tant soit peu mes articles, et plus spécifiquement peut-être ceux proposés dans la catégorie "Décodage de l'image égyptienne", auront évidemment compris que l'emplacement réservé à ces motifs iconographiques ne constitue en rien le fruit d'un hasard, pas plus que cette décoration ne relève d'une fantaisie esthétique due à un artiste particulièrement inspiré.
Ainsi, la rangée de ces formes oblongues supportant un disque solaire - que les égyptologues désignent par l'appellation de frise de khakérou - est-elle censée représenter une série de bottes de végétaux qui, dans la construction des chapelles primitives, étaient nouées à un lattage de bois et ainsi servaient de murs. A la IIIème dynastie, Djoser fit immortaliser ce motif végétal dans la pierre du linteau surmontant l'entrée de la Maison du Sud de son complexe funéraire à Saqqarah.
Dans certains des hypogées royaux du Nouvel Empire que vous avez certainement visités lors d'un séjour en terre égyptienne, vous aurez assurément rencontré cette frise devenue conventionnelle dans l'architecture, qu'elle soit d'ailleurs funéraire ou non.
Sur cette paroi de la chapelle centrale du petit sanctuaire ptolémaïque de Deir el-Médineh, vous remarquerez que sous ces khakérou défilent rectangles et carrés colorés délimitant en parallèle avec une autre ligne tout aussi épaisse symbolisant le hiéroglyphe du ciel, un espace gravé de signes dans et autour de cartouches nommant le fils de Rê, Ptolmis (Ptolémée), vivant éternellement en tant que roi de Haute et Basse-Egypte, créé par Ptah, aimé de Ptah, aimé d'Hathor et d'autres précisions de la même eau.
C'est donc dans le registre juste sous ces textes que se trouve la représentation qui nous occupe aujourd'hui.
Première remarque d'importance qui à mon sens se déduit aisément du cliché de Tifet et qui me fut confirmée en compulsant les rapports de fouilles de Bernard Bruyère disponibles sur le site de l'IFAO (Institut français d'archéologie orientale) :
à la page 3 du Cahier 4 précisément consacrée au mur est de la chapelle, le naos central, comme l'indique le fouilleur français, la composition d'origine décidée par l'artiste égyptien se présente sous le signe de la symétrie.
En effet, on distingue nettement dans son relevé, de part et d'autre du scarabée ailé qu'il a esquissé, de petites colonnes correspondant à ces hiéroglyphes que vous trouvez devant les cynocéphales et la personne agenouillée sur la photographie d'une partie de la scène prise par Tifet.
A droite donc, une théorie de quatre babouins debout, mains levées, c'est-à-dire en position d'adoration, derrière un personnage féminin représentant, selon les trois hiéroglyphes légèrement gravés au-dessus de ses mains, le Principe féminin de l'éternité, un genou posé sur le sol, les paumes également tournées vers le scarabée ; même disposition à gauche sauf que, si je lis bien B. Bruyère, le premier personnage est cette fois le pendant masculin du Principe d'éternité.
Extrêmement précieuses, bien qu'en son temps il ait omis de retranscrire certains signes, ses notes manuscrites vont nous aider dans la visualisation des inscriptions séparant chacun des babouins : il est fait allusion à l'ogdoade devant le premier d'entre eux, c'est-à-dire au groupe des huit divinités d'Hermopolis sorties de l'Océan primordial ; devant le deuxième, il est précisé qu'il est en train d'adorer Rê ; avant le troisième est mentionné le Bel Occident, à savoir, comme déjà je l'ai expliqué samedi dernier, l'Amenti, la demeure des morts, là où les Justifiés sont inhumés ; enfin, devant le dernier des quatre est citée la butte de Djêmé, c'est-à-dire le monde souterrain enfoui sous un temple à Médinet-Habou, là où reposent désormais les huit dieux primordiaux.
Qu'il soit figuré à droite ou à gauche, tout ce petit monde adresse ses hommages appuyés au
scarabée ailé surdimensionné du centre du registre, qui a pratiquement conservé ses magnifiques couleurs
d'origine.
L'animal, dans le bestiaire égyptien, symbolisait
Khépri, le dieu solaire protecteur de la renaissance des défunts, suite à l'analogie que l'on avait remarquée entre l'astre émergeant de l'horizon chaque matin et le coléoptère
coprophage qui présentait la particularité de constituer une boule de fumier qu'il faisait avancer, dans laquelle il avait inséré ses oeufs et qu'il enfouissait dans le sol ; dès que formé, le
petit en sortait, semblable au soleil levant.
Et d'ailleurs, dans la langue égyptienne, le hiéroglyphe du scarabée, que nous prononçons "khéper", signifiait "advenir, venir à
l'existence".
Je rappelle au passage que si Khépri figurait aux yeux des Egyptiens le soleil renaissant journellement, Rê le représentait à son zénith et Atoum, à son couchant.
Il peut donc vous paraître tout à fait plausible, amis lecteurs, dans l'esprit même de la mythologie égyptienne, que des personnes rendent ainsi hommage à l'astre solaire sous cette forme métaphorique précise. En revanche, comment expliquer la présence de simiens dans identiquement la même attitude ?
Fins observateurs de la nature - tant de la flore que de la
faune -, les anciens habitants de la Vallée du Nil s'étaient rendu compte que clameurs et gesticulations caractérisaient le comportement des babouins au lever du jour. Ils en avaient donc tout naturellement déduit que
ces premières "prières" à l'aurore, ces premières manifestations de joie au soleil, permettaient à ce dernier de sortir plus aisément des ténèbres. Raison pour laquelle, supposés adorateurs de Rê sous sa forme de Khépri, symbole de renaissance, ils furent
souvent représentés gravés et/ou peints sur les murs des tombes pour favoriser la régénération du défunt ou, en ronde-bosse, comme ce groupe D 31 exposé dans la salle 11 du Département des
Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, provenant du socle de l'obélisque jumeau de celui de la place de la Concorde, resté in situ à Louxor.
Pour la petite histoire, ce monument fit scandale dès son arrivée à Paris à cause de la position franchement frontale des cynocéphales adorant ...
Allusion est également faite à ces croyances dans les hymnes solaires où ils nous sont présentés levant les mains vers l'astre bienfaiteur, chantant, dansant ... ; bref, lui rendant un vibrant et peu silencieux hommage avant de l'accompagner pour franchir la porte s'ouvrant sur le monde diurne ...
Ou comme sur ce pyramidion de calcaire (D 18) sorti des réserves pour l'exposition Les Portes de Ciel, au Louvre en
2009, ayant appartenu à un certain Iher, de la XXVIème dynastie : si sur une des faces, nous voyons quatre babouins dressés adorant le disque solaire, sur celle qui lui est opposée,
Iher et son épouse dans une attitude semblable, sur une troisième, les trois formes du dieu - Rê, Atoum et Khépri - assis dans une barque, la dernière nous donne à lire une prière hymnique que le
défunt, s'identifiant au dieu créateur, lui adresse aux fins de prétendre prendre part au cycle cosmique pour l'éternité de sa vie post mortem.
"Puisse ma voix être justifiée contre mes adversaires car je suis Atoum qui a fait le ciel pour Rê-Horakhty et la terre pour Geb, qui a créé ce qui existe et ce qui est sorti de terre, qui a fait advenir la lumière ; car (je suis) celui qui a mis au monde les dieux, le dieu grand advenu de lui-même."
(Posener/Sauneron/Yoyotte :
1959, 20 et 269)
Au terme de cette ultime intervention devant la vitrine 3 tout entière dédiée aux animaux familiers des Egyptiens de l'Antiquité, je vous souhaite, amis lecteurs, un excellent congé de Carnaval qui, pour les écoles belges, commence demain, vendredi, en fin d'après-midi.
C'est la raison pour laquelle vous voudrez bien noter nos prochains rendez-vous : ici même, en salle 5, le mardi 15 mars en vue d'entamer la description d'un ensemble mural vitré qui nous permettra de passionnanteds nouvelles découvertes ; et le samedi 19 mars pour lever le voile sur la première des Maximes attribuées à Ptahhotep.
Bon congé à tous ...
Et prenez garde à l'ingestion trop abondante de bières carnavalesques (belges) et de confetti (italiens ou niçois) !
Richard