Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Je ne sais pas ce qu’il en a été pour vous, mais je dois vous avouer que j’ai passé une bonne partie de ma scolarité à entendre le professeur parler des libertés que l’État français garantissait aux citoyens, qu’il s’agisse de la liberté de la presse, de la liberté d’opinion, de culte, d’expression, d’association, de la grande révolution de 1789, de l’universalité des droits de l’Homme, etc. Résultat, j’ai maintenant pris en grippe tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à une restriction de ces libertés qui ont une valeur fondamentale dans la mesure où leur reconnaissance coïncide directement avec la reconnaissance de ce qui fonde l’être humain en tant qu’être humain.
Je m’explique : le propre de l’homme n’est pas seulement le rire mais aussi et surtout sa capacité à déployer un agir dont la nature ne dépend que de son vouloir et non pas, comme c’est le cas pour les autres animaux, d’un instinct qui rendrait toutes ses actions prévisibles – là, je vulgarise, je sais que certains animaux peuvent avoir un comportement défiant les lois naturelles, mais c’est un autre problème. L’individu humain, de ce fait, est fondamentalement indéterminé ; son vouloir peut être mauvais s’il entraîne des conséquences néfastes pour autrui, mais cette indétermination fondamentale du vouloir n’est pas mauvaise en tant que telle : on a raison de réprimer les actions mauvaises quand elles sont commises, on a raison de vouloir mettre l’individu dans des conditions lui ôtant des mobiles pour les commettre, mais criminaliser l’indétermination même du vouloir de l’individu humain en tant que porteur d’innovations, c’est perpétrer ce que je n’hésiterais pas à qualifier de crime contre l’humanité au sens basique du terme. Nier la légitimité de l’individu à déployer un agir innovant, c’est nier ce qui le fonde en tant qu’individu humain à part entière, c’est donc rendre l’individu superflu, ce qui est la définition que donnait Hannah Arendt du totalitarisme. Ce crime contre l’humanité repose, qui plus est, sur un mensonge qu’une société se fait à elle-même, le mensonge de l’homogénéité : je veux dire par là que prétendre que tous les individus qui composent la société peuvent et doivent marcher dans une seule et même direction est un mensonge, et comme c’est là le ressort des sociétés totalitaires ou simplement liberticides, ces structures sont à elles seules des mensonges dans la théorie et des crimes dans la pratique. Vous m’avez compris ?
C’est pour cette raison que la loi OPPSI 2, qui a été votée récemment dans l’indifférence générale alors que nous avions les yeux braqués sur les évènements dans le monde arabe (ce fut le dernier service rendu par les dictateurs arabes aux pourris de chez nous) est absolument intolérable. Prenons simplement les deux aspects les mieux connus de cette loi. Premièrement, le contrôle du net, légitimé par la lutte contre les sites pédophiles, la majorité nous brandissant l’épouvantail d’une pépinière de sites sur lesquels votre enfant risque de rencontrer un pervers de 45 ans ; honnêtement, ce n’est pas si courant que ça : quand cela arrive, évidemment, c’en est une de trop, mais on ne peut pas dire que ça arrive tous les jours. En tout cas, cela reste du domaine de l’événementiel. Qui plus est, c’est aux parents qu’incombe la tâche de surveiller leurs enfants mineurs, SURTOUT quand ceux-ci usent d’un réseau qui leur met pour ainsi dire le monde à portée de main, non ? Mais comme le dit ma mère, il y a toute une génération de parents à rééduquer… De toute façon, un site pédophile est déjà illégal en tant que tel : le fait qu’un seul puisse exister et vivre malgré tout prouve qu’il est relativement facile, pour qui sait bidouiller en informatique, de contourner la législation. Bref, la lutte contre la pédophilie ne peut être qu’un prétexte que donne le gouvernement pour faire taire les internautes susceptibles de le gêner, comme la protection de l’enfance avait servi aux gaullistes pour museler la presse : il est vrai que trouver un prétexte pour faire taire définitivement Mediapart par exemple aurait bien arrangé le gouvernement au moment de l’affaire Bettencourt… Bon, pas de panique, ce n’est pas encore le fascisme, mais c’est au moins le pré-fascisme ; comme disait Cavanna, « ça veut dire que ces mecs qu’on a maintenant plantent autour de nous les barbelés que d’autres utiliseront ».
Deuxièmement, il y a l’interdiction des habitations dites « légères » comme les yourtes. Quelle gène les habitations de ce type apportent-elles au citoyen lambda ? Ne cherchez pas, aucune. Est-ce dangereux pour celui qui vit dedans ? Même pas : le peuple qui habitait les yourtes jadis avait quand même eu assez d’énergie et de talent militaire pour faire trembler le monde connu, ce qui suffit à exclure l’idée suivant laquelle cet habitat pourrait être mauvais pour celui qui en use. À ce propos, qui décide d’habiter une yourte ? Une personne qui estime que construire une maison individuelle lui coûterait trop cher mais qui n’a pas envie de payer un loyer toute sa vie : c’est donc quelqu’un qui fait des efforts pour ne pas finir S.D.F. Curieux, quand même ! D’habitude, nos dirigeants sont toujours prompts à louer les self-made-men, ceux qui s’en sortent grâce à leurs propres forces, et voilà qu’ils sanctionnent ceux qui ne doivent d’éviter d’être à la rue qu’à leur énergie et leur volonté ! La cohérence là-dedans ? C’est que ces personnes ne rapportent rien aux margoulins de l’immobilier, et le gouvernement ne peut pas avoir d’autre grief à leur égard. C’est pourquoi il a décidé que le citoyen serait hors la loi à partir du moment où il déciderait de ne pas vivre comme un bon con broute-paille et mange-merde qui accepte sans broncher de payer un loyer toute sa vie pour un clapier minable ou de prendre un crédit qui ruinera ses descendants pour un pavillon mesquin ; il a pu compter, à cet égard, sur la peur qu’éveille chez le bidochon moyen tout ce qui diffère peu ou prou de la majorité.
Je crois que vous l’avez compris : avec la loi OPPSI 2, Sarkozy et sa clique criminalisent le simple fait de penser par soi-même et d’agir comme bon nous semble, abstraction faite de toute dangerosité réelle de cet agir ; ils criminalisent donc le simple fait d’être un être humain. Cela n’est pas étonnant : le capitalisme, en tant qu’il ne donne de droit à exister qu’à ce qui est immédiatement rentable, est à cet égard fondamentalement liberticide ; Pierre Perret avait raison : « il y a ceux qui chantent la chanson du profit contre tout ceux qui aiment la chanson de la vie ». Aussi, avant de pouvoir faire un équivalent des procès du Nuremberg pour le capitalisme et ses sbires, je suggère que l’on déclare déjà Nabot-léon et sa bande ennemis publics. Et vite, parce qu’avec ce que je viens d’écrire, la loi OPPSI 2 ne devrait pas tarder à nous tomber dessus… Allez, kenavo !