On a tendance à évoquer une identité sonore pour une marque ou une société et bien dans ce cas, il s'agit du média radio. On mange du jingle radio à toutes les sauces, cela en deviendrait presque agaçant mais après tout, n'est-ce pas pire à la télévision ? Peu importe. Ici, il s'agit de donner une couleur, une empreinte à la radion en question, suivant sa ligne éditoriale, sa cible, son style de musique, sa direction... Plus qu'un gimmick ou un simple effet de transition, le jingle sonore est un véritable outil stratégique qui aurait un poids non négligeable dans la course à l'audimat. Explication du phénomène avec Anne-Marie Gustave, journaliste pour Télérama (article en date du 14/01/08) :
"Percutants, agressifs ou mélodieux, les jingles permettent d'identifier instantanément une radio. Du coup, chaque station a développé sa propre stratégie. Petit tour d'horizon.
On les appelle virgules, tourne pages, indicatifs, fins de titre, tapis déroulants ou autopromos, autant d'éléments sonores qui constituent l'habillage d'une radio. Son identité. Sa ligne esthétique. A coups de mini-montages de une à vingt secondes, chaque station balise en permanence le chemin de l'auditeur afin qu'il sache au premier coup d'oreille ce qu'il écoute. Ces petites musiques ou annonces, conçues comme un ensemble, segmentent les longues séquences, séparent deux infos dans un flash, encadrent les pubs. Parfois, on ne les remarque même plus. Parfois, elles agacent...
Si l'habillage sonore a toujours existé, il s'est imposé massivement avec la multiplication des FM. Pas question d'être confondue avec une autre station ! De Skyrock à France Musique, on investit donc des sommes colossales pour être identifiable, et l'on fait appel à de grands arrangeurs et compositeurs de musiques de films. Pas toujours avec le même cahier des charges : quand certains considèrent que l'habillage est l'art d'évoluer sans que cela s'entende vraiment, d'autres réajustent en permanence leur palette sonore ; les plus audacieux, eux, n'hésitent pas à mettre à nu leur grille pour la « relooker ».
Parce que sa radio souffre encore d'une image vieillotte et institutionnelle, David Kessler, le directeur de France Culture, a décidé de changer tout son habillage pour la rentrée de septembre 2007. Un lifting historique ! France Culture pouvait se le permettre : elle a un auditoire restreint, composé de fidèles. « Pour ce nouvel habillage, on a voulu quelque chose de minimaliste, joyeux, simple et élégant, une manière de dire à notre public que nous ne nous adressons pas à une élite mais à tout le monde », confie Kessler. Il a lancé un appel d'offres, remporté par Michaël Boumendil, trentenaire déjà créateur de l'identité sonore de France Télécom et de Peugeot.
Autre chambardement, mais à un niveau moindre, celui opéré par France Info : à l'occasion de son vingtième anniversaire, sa direction a elle aussi retravaillé son habillage. Cinq sociétés de production se sont attelées à la tâche. Au final, Novaprod et son compositeur Fred Leonard ont gagné le marché. Déjà « habilleur » d'Arte et de toute la RTBF (radio télévision belge), l'équipe a, cette fois, oeuvré à partir de l'existant : l'indicatif historique en fa majeur (si bémol la do / do fa sol la si bémol la fa) créé par Gérard Calvi en 1987. « Je voulais le conserver, précise Patrick Roger, directeur de France Info, tout en le retravaillant, car il fait partie de notre patrimoine. Avant, on nous reprochait d'avoir un son agressif, répétitif, voire anxiogène. A chaque instant, l'habillage devait rappeler qu'on était sur une chaîne d'actualité. Tout en affirmant notre personnalité, celui qui est en place aujourd'hui dédramatise, il éclaircit nos propos. L'info est suffisamment pesante pour que l'on n'ait pas à en rajouter ! » Les chroniques ont été classées par familles (environnement, sciences, technique, médecine...), chacune disposant de jingles aux sonorités voisines. En fait, Fred Leonard a composé trente musiques, et Novaprod en a tiré quatre-vingts éléments. Avec les voix off venant se superposer à ces mini-enregistrements (elles citent le nom de la chronique et celui de son sponsor), France Info dispose au final de deux cent dix modules différents !
Sur Europe 1 et France Inter, on réajuste en permanence. En perte de vitesse et souvent accusée de machisme, la radio de Jean-Pierre Elkabbach tente de capter un nouveau public. Depuis septembre, elle qui s'obstinait à ne faire travailler qu'un seul comédien pour les voix off s'est finalement décidée à recruter une femme ! « C'est de l'ordre du subliminal, explique Olivier Beneuf, directeur de l'antenne, mais la féminité se ressent... La concurrence entre stations est rude. Pour survivre, il faut s'affirmer. » Autre tendance, la durée d'écoute d'une radio ayant autant de valeur (pour les publicitaires) que l'audience elle-même, un nouveau style de module est apparu sur toutes les stations : l'annonce de l'émission suivante ! « En enregistrant ces petites alertes, poursuit Xavier Joly, responsable de la production, j'ai l'impression de repasser la nappe pour mes invités et de mettre les bougies ! Si elles ne font pas forcément venir les auditeurs, elles peuvent en tout cas les inciter à rester. » En d'autres temps plus fastes, Europe 1 ne se posait pas ces questions, et confiait chaque année ses mélodies à un compositeur différent. Mais si Michel Colombier, Jean-Jacques Goldman, Phil Marboeuf ou Michel Berger ont eu à habiller la radio, aucun n'a eu le droit de toucher au célébrissime carillon en do majeur (sol sol mi / sol mi do) de Raymond Lefèvre, qui sonne les heures depuis 1956.
France Inter, elle, a réussi un sacré pari : colorer la chaîne d'une teinte homogène tout en laissant une place à la créativité de ses producteurs. « Ils disposent d'un kit de départ, raconte Bruno Carpentier, le directeur artistique. A ces enregistrements fournis, ils peuvent juxtaposer des sons personnels. S'ils ont un sens, ça passe ! Quand Mathieu Vidard, dans La Tête au carré, superpose des cliquetis de ressort à son jingle de base, il signifie aux auditeurs qu'il présente une émission scientifique à la portée de tous. » Pendant que ses animateurs bidouillent, Bruno Carpentier, lui, communique avec ses cinq compositeurs-arrangeurs : un Français, trois Anglais et un Américain. Si un nouveau style musical surgit, il leur demande de remixer le « matériel » de base, y compris le générique de chaîne en ré majeur, composé il y a une bonne dizaine d'années par le saxophoniste Philippe Delettrez. Si le résultat lui plaît, il confie un nouveau kit aux animateurs, qui ajouteront à nouveau leurs propres éléments...
Enfin, troisième école, celle du remixage quasi inaudible et pourtant bien réel, dont RTL est l'unique et ingénieux élève. Ou l'école qui dit ne jamais rien changer, mais qui embauche trois personnes pour cela ! Jusqu'alors, l'habillage était le terrain de jeu privilégié de Gaya Bécaud. Mais depuis dix-huit mois, le fils de Monsieur 100 000 volts n'est plus seul à tournicoter autour de l'hymne maison, la mélodie en do majeur (mi do do si do) de Michel Legrand ; il est épaulé par trois « sound designers ». « Je tiens au terme anglais, dit Frédéric Jouve, directeur des programmes. Normalement, ce terme est utilisé par les professionnels du cinéma et, comme eux, nous voulons travailler sur l'imaginaire ! Mais sans révolution : quand on change de place les rayons du magasin où l'on a ses habitudes, on va voir ailleurs. »
Au Comité d'histoire de la radiodiffusion, où sont stockées les émissions datant des années 60 à nos jours, on affirme, preuves sonores à l'appui, que les stations qui ne changent pas ou peu leur habillage sont celles qui ont le plus grand nombre d'auditeurs - à moins que ce ne soit l'inverse ? En fait, tout l'art du son consiste, en travaillant sur les fréquences (notamment des basses bien « moelleuses »), à toucher le coeur de l'auditeur, sans jamais l'incommoder. Mission compliquée : lorsque, dans les années 80, RTL 2 a voulu marquer le subconscient de son public en habillant ses émissions de chants de baleines et de sons intra-utérins, ça n'a pas franchement marché ! Pour preuve, à part les responsables de ce pari pour le moins osé, personne ne s'en souvient..."