Qu’en pensent Airbus et Boeing ? Nous ne le saurons probablement pas mais le fait est que Michael O’Leary, l’inénarrable patron de Ryanair, vient d’adresser un avertissement ŕ Seattle et, accessoirement ŕ Toulouse : il parle aux Chinois et aux Russes, dit-il, et n’exclut pas de leur acheter des avions, Comac 919 ou Irkut MS-21. Sous-entendu dans l’hypothčse oů son fournisseur unique actuel ne lui accorderait pas des conditions défiant toute concurrence et qu’Airbus continuerait ŕ l’ignorer avec un soupçon de dédain.
On l’a compris, c’est tout simplement du chantage, une vile gesticulation, une nouvelle maničre de mettre la pression sur Boeing. Ce n’est męme pas un coup bas, et pas tout ŕ fait un coup tout court, vaguement médiatique. D’autant que O’Leary a spontanément émis des doutes sur le calendrier des 919 et MS-21 et précisé qu’il serait sans doute difficile de convaincre les passagers de Ryanair de voyager ŕ bord d’avions chinois ou russes. Mais, bien sűr, il n’est pas vraiment nécessaire de se taire quand on n’a rien ŕ dire.
Ces propos n’en appellent pas moins un commentaire. On retiendra en effet que Ryanair, contrairement ŕ certaines déclarations déjŕ oubliées, n’a visiblement plus l’intention de mettre tôt ou tard un terme ŕ sa croissance. Tout au contraire, elle envisage toujours (faut-il dire Ťŕ nouveauť ?) de passer commande d’un nouveau lot d’avions au plus tard dans 3 ou 4 ans. Oubliée aussi la soi-disant rupture avec Boeing, qui n’entendait en aucun cas vendre davantage de 737 ŕ un prix irréaliste. Côté Airbus, en admettant que la situation n’ait pas évolué récemment, ce n’est męme pas la peine d’en parler. D’oů cette soudaine allusion ŕ deux nouveaux venus qui tombent ŕ point nommé pour mettre un peu d’ambiance dans un dossier qui devenait ennuyeux. On espčre que les responsables de Comac et Irkut sont suffisamment familiers avec les astuces du petit O’Leary illustré et ont déjŕ compris qu’il ne faut pas prendre tout cela au sérieux.
Le moment de ce mini rebondissement est bien choisi, celui oů la compagnie irlandaise prend livraison de son 300e 737-800, rappelant ainsi qu’elle est un client trčs important qui, cette année, recevra 37 exemplaires supplémentaires. Boeing, en marge de ce petit événement, livre une information plus importante qu’il n’y paraît ŕ premičre vue –et pas du tout innocente. A savoir que les 737 qui sortent actuellement d’usine bénéficient d’une réduction de consommation de carburant de 5% par rapport aux premiers 737NG produits ŕ partir de 1998. Mieux, un gain supplémentaire de 2% est en vue.
En d’autres termes, le 737-800, sans autre modification, et sans investissement supplémentaire de Boeing, afficherait une consommation supérieure de 7 ŕ 8% seulement par rapport au nouvel A320 NEO livrable dans 5 ans. Info ou intox ? Impossible ŕ vérifier et ce n’est certainement qu’un début. Au fil des mois, Boeing va probablement tenter de démontrer qu’il est urgent de ne pas remotoriser le 737 et encore moins de lui donner un successeur avant 2020, voire au-delŕ. Airbus dira et répétera le contraire au fil des rebondissements d’un jeu de poker menteur comme on en a rarement connu dans le monde des avions commerciaux.
Du coup, on éprouve de sérieuses difficultés ŕ faire le tri parmi des informations qui sont tout simplement invérifiables et on risque d’oublier au passage que Ryanair n’en a pas fini de son irrésistible ascension. Au terme de son exercice fiscal 2010/2011, elle annoncera un bénéfice net se situant entre 380 et 400 millions d’euros et le transport d’environ 78 millions de passagers avec un coefficient moyen d’occupation de 82%. Les statistiques continuent de prouver, jour aprčs jours, que la notion Ťlow costť n’est pas un mythe, qu’elle ne subit pas une quelconque érosion, la recette moyenne par passagers étant actuellement de 44 euros, dont 34 euros par coupon de vol ŕ proprement parler.
Quand des difficultés se présentent, comme ce fut récemment le cas ŕ Marseille-Provence pour non respect du droit social français, Ryanair crie ŕ l’injustice, part en claquant la porte et revient aussitôt par la fenętre. En témoigne l’annonce ces jours-ci de nombreuses nouvelles lignes au départ de l’aéroport marseillais. Reste ŕ savoir ŕ combien Ryanair achčte ses 737-800, un secret bien gardé. Cela vaut mieux pour tout le monde.
Pierre Sparaco - AeroMorning