Caroline, ancienne dentiste, mariée, deux filles, grand-mère, fête ses soixante ans. Et sa retraite. C’est là que, tel un regard trop longtemps porté dans le rétroviseur qui fait partir dans le décor, tout se met lentement à déraper. Car, que faire de tout ce temps libre qui s’offre à elle ? Comment remplir les pages redevenues vierges de son agenda pour ne pas tomber dans l’ennui, mais sans mettre en péril sa liberté retrouvée ? Pas d’inquiétude, la société est bien huilée. Elle continue à nous créer toute sorte d’obligations pour mieux nous contrôler. Elle veille, notamment par l’intermédiaire des nos propres enfants. Pour ses soixante ans, ceux de Caroline lui offrent une inscription dans un club pour retraités, « Nouvel Âge » – euphémisme terrible, le même qui a transformé les cartes « vermeilles » en cartes « sénior » pour travestir et embellir une réalité en lente mais certaine décrépitude. Une remise en question fondamentale de son existence, du socle et des valeurs sur laquelle elle l’a construite commence alors pour notre sexagénaire.
Si le ton est léger, avec des accents de comédie sentimentale et romantique, ce roman aux allures de divertissement est plus complexe et plus profond qu’il n’y paraît. L’ironie rôde, griffe et épingle les travers de cette période de la vie devenue aujourd’hui un véritable phénomène de société. Rien n’échappe au regard aigu de la romancière : les clubs du troisième âge qui sont en réalité des clubs de rencontres déguisés, le regard de ceux qui sont encore actifs sur ceux passés de l’autre côté de la frontière, la tyrannie morale de ses propres enfants, l’amour et les relations sexuelles des sexas transformées en couguars, etc. Ironie, donc, satire douce-amère, sans concession, mais avec bienveillance. Il y a en effet dans cette fureur de vivre, voire de revivre enfin après une période d’oubli de soi dans ses activités professionnelles, une dimension hautement pathétique, dans le bon sens du terme. Car le désir de liberté de Caroline, son envie de renouer avec sa jeunesse, sont voués à l’échec. Et, au fond d’elle-même, elle le sait pertinemment, mais veut quand même y croire. Elle sait que l’horizon des possibles qui semble s’ouvrir devant elle est en fait entaché de tous les impossibles qu’elle a vécus.
On compare souvent, et à juste titre, l’enfance et la vieillesse. Mais rarement la phase de la retraite à l’adolescence. Comme l’adolescence est cet entre-deux où l’on n’est plus un enfant et pas encore un adulte, la retraite est cet autre entre-deux inconfortable où l’on n’est plus jeune et pas encore réellement vieux. A la différence de l’adolescence, les casseroles que l’on traîne, les blessures et les cicatrices passées, la conscience de la futilité de choses, empêchent et interdisent de retrouver cette insouciance perdue. A cet égard, l’histoire de Caroline est exemplaire, le roman de Fanny Chesnel tendre et cruel à la fois.
Roman de mœurs, comédie sentimentale et romantique, mais également roman social, cette Petite fille aux cheveux blancs a la fraîcheur jubilatoire de la petite fille et la lucidité tragique de ses cheveux blancs.
Titre:Une jeune fille aux cheveux blancs
Crédit photo Fanny Chesnel : Michael Lafontan