Le dispositif pénalise les pauvres non couverts par la CMU complémentaire et les victimes d'accidents du travail.
Malgré l'entrée en vigueur du dispositif le 1er janvier, les opposants aux nouvelles franchises médicales -0,5 euro par boîte de médicaments, 2 euros par transport sanitaire, avec un plafond de 50 euros par an- ne désarment pas. Dans leur besace, des arguments chocs: les exonérations prévues ne concernent pas deux millions de pauvres, et le dispositif crée une discrimination envers les victimes d'accidents du travail.
Après la manifestation du 13 octobre qui avait rassemblé environ 20 000 personnes à Paris, des pétitions continuent à circuler. Un recours contre les franchises vient même d'être déposé devant le Conseil d'Etat. Revue des griefs adressés au système.
Tous les pauvres ne sont pas exonérés des franchises. Voilà ce que Roselyne Bachelot promettait à l'automne: "La franchise sera accompagnée des exonérations nécessaires pour tenir pleinement compte des situations sociales dégradées."
Quinze millions de personnes sont ainsi exonérées des franchises: les femmes enceintes, les mineurs et les bénéficiaires de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C)
Pour bénéficier de cette complémentaire santé gratuite, il faut avoir un revenu inférieur à 606 euros par mois (pour une personne seule). Sur les 7 millions de personnes qui vivent en- dessous du seuil de pauvreté en France, 5 millions bénéficient de la CMU-C.
Reste donc 2 millions de personnes, trop "riches" pour être exonérées des franchises, mais qui vivent toutefois en-dessous du seuil de pauvreté. Parmi eux, les bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (610,28 euros), ou de l'allocation adulte handicapé (621,27 euros).
Preuve, pour les associations de malades, que le dispositif des franchises médicales "porte atteinte à l'accès aux soins pour tous." Un constat scandaleux pour l'Uniopss et la soixantaine d'associations regroupés dans le collectif Alerte:
"Il est urgent de porter le plafond de la CMU-C au niveau de celui du seuil de pauvreté. C'est une mesure de justice sociale."
Une "aide à l'acquisition d'une complémentaire" jugée insuffisante
Pourquoi le gouvernement n'envisage-t-il pas un relèvement du plafond, comme ces associations le demandent? Au Fonds CMU (l'organisme chargé de la CMU et la CMU-C), on indique que cette question n'est pas d'actualité.
L'un des spécialistes du dossier, le sénateur UMP de l'Oise Alain Vasselle y serait pourtant favorable. Lui qui a rédigé le rapport sur le Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 confie:
"Bien entendu que, sur le principe, je suis favorable au relèvement du plafond, de telle sorte que les bénéficaires de l'AAH et de l'allocation vieillesse puissent être couverts par la CMU-C.
"Il faut cependant mesurer l'incidence budgétaire. Déjà au moment de son instauration en 1999, je l'avais dit à Martine Aubry, mais pour des raisons budgétaires, elle ne pouvait pas faire autrement."
Le gouvernement a donc proposé une "aide à l'acquisition d'une complémentaire". Dernier dispositif en date, lancé à grand renfort de médiatisation le 3 janvier dernier: le chèque-santé, qui peut aller de 100 à 400 euros par an (en fonction du revenu et de la situation familiale).
Une annonce bienvenue, même si le chèque-santé ne fait que reprendre de vieilles recettes expérimentées depuis 2002 (dispositif Guigou entre 2002 et 2004, puis crédit d'impôt en 2005) et qui n'ont jamais prouvé leur efficacité. Selon une étude de l'Irdes (Institut de recherche et documentation en économie de la santé) d'avril 2007, seuls 10% de la population cible (constituée de 2 millions de personnes) bénéficiaient effectivement de cette aide.
Au cabinet de la ministre, on se veut confiant:
"Ça ne veut pas dire que le dispositif est mauvais, mais seulement qu'il fallait l'améliorer. Cette foisce sera hyper simple: on reçoit le chèque chez soi, et il ne reste plus qu'à choisir sa mutuelle et lui envoyer le chèque."
Insufifsant pour convaincre le sénateur UMP Alain Vasselle: "Le montant du chèque-santé n'est pas suffisant."
Tous les malades ne sont pas égaux face aux franchises. Les anti-franchises mènent une deuxième bataille, au nom de la non-discrimination entre les victimes du travail et les autres. Un argument pour lequel la Fédération nationale des accidentés de la vie (Fnath) et lFédération nationale des victimes de l'amiante (Andeva) viennent de déposer un recours devant le Conseil d'Etat.
Explication: quand vous perdez une jambe dans un accident de la circulation et qu'il y a un tiers responsable, vous ne payez pas de franchise. Quand vous êtes victimes du travail (maladies professionnelles ou accidents), vous la payez.
Les associations invoquent la différence de traitement entre ces deux catégories de victimes:
"Ces nouvelles franchises médicales constituent une atteinte au droit des victimes du travail. Elles sont contraires à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales."
La Fnath et l'Andeva demandent une annulation pure et simple des franchises médicales, ou au moins, le cas échéant, l'exonération de franchise pour les victimes du travail:
"Si franchise il doit y avoir, ce n'est certainement pas aux victimes de payer!"
Croient-elles vraiment que le Conseil d'Etat pourra leur donner raison?
"On a bon espoir, sinon on n'aurait pas fait de recours, mais en même temps on ne se fait aucune illusion, le Conseil Constitutionnel ayant fait preuve d'une timidité excessive sur le sujet."
Dans l'attente d'une décision, le gouvernement affiche sa sérénité. Au cabinet de Roselyne Bachelot, on voit mal comment le Conseil d'Etat pourrait invalider le principe des franchises:
"Le Conseil d'Etat a déjà validé le projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui contenait les franchises."
Une "solidarité" dont sont dispensés les bien-portants. Le but des franchises est de "responsabiliser" les assurés: en clair, empêcher la gratuité complète, afin de dissuader les patients de rechercher des actes de santé "de confort", inutiles ou redondants.
Mais ces franchises sont également destinées à financer le plan Alzheimer, les soins palliatifs et la lutte contre le cancer. Elles sont présentées par le gouvernement comme un acte de solidarité. Elles devraient permettre de récolter 850 millions d'euros. Une goutte d'eau par rapport au budget de la Sécu (400 milliards d'euros).
Cet argument est au coeur de toutes les protestations. En effet, seules les personnes allant consulter un médecin, achetant une boîte de médicament ou se déplaçant en ambulance paient les franchises. Bref, les peu malades paient pour les très malades, mais les bien-portants ne paient pas.
Le cas des maladies de longue durée. En signe de protestation contre les franchises, plusieurs patients atteints d'ALD (affection de longue durée) se sont mis en "grève des soins", mettant leur "vie en jeu". Inquiètes, les associations de malades regroupées au sein du collectif des Chroniques associés, viennent d'adresser une lettre ouverte au président de la République pour lui demander de suspendre le système.
Premier à avoir initié le mouvement: Bruno-Pascal Chevalier, malade du Sida, qui ne prend plus son traitement depuis trois mois. Quatre autres patients ont arrêté de suivre leur traitement, notamment des diabétiques. Plusieurs autres malades, qui s'étaient mis en "grève des soins", ont finalement repris leur traitement, tout en prévenant qu'elles étaient prêtes à l'interrompre à nouveau si les franchises n'étaient pas "suspendues".
Pour mieux prendre en compte ces 7,4 millions de patients souffrant d'ALD en France, un bouclier sanitaire est à l'étude, après avoir été demandé par Martin Hirsch, Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Mais il ne devrait pas être mis en place avant 2010.
Le risque d'une surenchère sur le montant. Si la mobilisation des malades contre les franchises médicales n'était une surprise pour personne, la ferme opposition des médecins et mutualistes était nettement moins attendue. Même la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français), le principal syndicat des médecins libéraux, pourtant classé à droite, est très critique. Son président, Michel Chassang, n'en démord pas:
"Nous n'avons pas changé de position. Nous sommes toujours opposés aux franchises, car nous sommes contre le fait de faire financer le système non plus par tout le monde mais par les malades eux-mêmes. On n'est plus dans un système solidaire."
Même discours du côté des mutuelles. Pour le vice-président de la Mutualité française, Maurine Ronat:
"Le système des franchises est moralement condamnable mais aussi économiquement inefficace."
Car l'argent collecté par les franchises ne sera pas suffisant pour financer ce à quoi il est destiné: le plan Alzheimer, les soins palliatifs et la lutte contre le cancer. Un constat qui fait craindre une fuite en avant du montant des franchises. Un plafond de 50 euros en 2008. Mais pourquoi pas, de 100 ou 200 euros dans les prochaines années? Cette surenchère possible préoccupe le sénateur UMP Alain Vasselle:
"C'est le risque en effet. Augmenter le montant de la franchise sera une tentation pour le gouvernement. Mais je pense que cette mesure doit n'avoir qu'un caractère conjoncturel, en attendant que se mettent en place des mesures structurelles qui permettront une refonte totale du système de financement de la Sécurité sociale."