Des niveaux dans les sondages jamais atteints. Un commissaire chargé de la diversité et de l’égalité des chances au sein du gouvernement, Yazid Sabeg, qui s’alarme du poids pris par le Front national dans le débat public. Un secrétaire de section CGT en Moselle, Fabien Engelmann, qui annonce sa candidature aux prochaines élections sous la bannière du Front National. Les éléments du puzzle se mettent en place. La lepénisation des esprits si redoutée est aujourd’hui une réalité.
Parler du FN, c’est discourir de la mondialisation et de l’échec des formations politiques traditionnelles à lui apporter une réponse. Comme le relève Yazid Sabeg, la mondialisation outre la mise à mal de notre industrie et de notre agriculture « nous soumet aujourd’hui aux réalités sociales et culturelles de l’intégration ».
Un cocktail explosif pour les démocraties du vieux continent désarmées face à un phénomène présenté comme incontrôlable. Un peu comme si nous étions condamnés à regarder le sable nous filer entre les doigts. Sauf qu’il ne s’agit pas de sable mais d’emplois et de richesses avec à la clé, un sentiment d’impuissance et de déclassement.
Un tel terreau est propice à tous les populismes de droite et de gauche. Mais le FN peut se prévaloir, contrairement au Front de gauche, de n’avoir jamais été aux responsabilités. Entre la copie et l’original, le choix est vite fait d’autant que Marine Le Pen a tenté et réussi une OPA sur le concept de la République dont elle s’affiche désormais comme l’ardent défenseur.
Le FN new look ne sent plus le moisi ou la naphtaline. Il a abandonné les bottes de saut pour les baskets. Et tant pis pour les nostalgiques du IIIème Reich ou de l’Action Française. Le FN de papa c’est fini.
La lepenisation des esprits a été servie sur un plateau par un président de la république qui, pris au piège de son ego, a cru qu’il pourrait réserver à la formation d’extrême droite le sort concocté en son temps par François Mitterrand au PC. Mais n’est pas Machiavel qui veut. Les bégaiements de l’histoire ne se décrètent pas.
En ouvrant le débat sur l’identité nationale, le Chef de l’Etat a entrebaillé une boîte de Pandore au moment où la gauche autant que la droite classique ont perdu pied et sont incapables de proposer des clés de compréhension d’une mondialisation qui a bouleversé les schémas traditionnels de pensée. Dans les colonnes du Monde , le commissaire chargé de la diversité et de l’égalité des chances va jusqu’à évoquer « une démission des élites qui se sont installées, parfois à leur insu, dans le sillage idéologique de l’extrême droite ».
Certes, le fait qu’un responsable local CGT soit candidat aux cantonales sous étiquette FN est un épiphénomène. Il est toutefois symptomatique de la confusion des repères et des valeurs dans notre société. Il témoigne de la légitimitisation rampante des idées du FN pour des électeurs en pleine déshérence politique. Un FN qui ne cache pas son souhait de mener une « stratégie de conquête des classes populaires et des classes moyennes ».
Consciente que quelque chose est en train de se passer, la centrale de Montreuil essaye de bouger mais en est encore à défendre les salariés étrangers. « Si on veut assainir le marché du travail, les migrants doivent avoir les mêmes droits que les autres. Ils ne prennent le boulot de personne ! Ils prennent le boulot dont personne ne veut dans ces conditions » tente de faire entendre Francine Blanche, membre du bureau confédéral CGT, responsable notamment de la lutte contre les discriminations. Le message est entendu mais pas écouté car le mal est plus profond.
L’Est Républicain prend l’exemple de Loïc Karboviac adhérent CGT et pompier en Moselle. « Au SDIS 57, les trois quarts des syndiqués votent Le Pen ou Sarko. Et s’il y avait un ‘’Engelmann’’ chez les pompiers aujourd’hui, ils le soutiendraient. D’autres sections ont le même problème. À force de dire que le syndicat ne fait pas de politique, ne s’est-on pas tiré une balle dans le pied ? D’autres syndicats sont aujourd’hui contaminés par le Front. Alors qu’est-ce qu’on fait ? »
De fait, le cheminement de Fabien Engelmann est éclairant puisqu’il est passé d’adhérent à Lutte Ouvrière à celui du Nouveau Parti Anticapitaliste avant de devenir candidat du Front national aux prochaines cantonales. « Dans une, voire deux semaines, des dizaines d’adhérents de la CGT vont faire leur ‘coming out’. Comme moi, ils ont compris que le FN n’était pas le diable et que Marine Le Pen a un discours plus social qu’Olivier Besancenot » estime le trentenaire décomplexé. La frustration, la peur et un fond de xénophobie semblent constituer les trois piliers de la formation frontiste.
Le nouvel adepte de Marine Le Pen confie que l’élément déclencheur de son évolution aura été la polémique qui a entouré la candidate voilée du NPA aux dernières régionales. L’affaire qui avait été suivie de l’explosion du parti d’Olivier Besancenot a constitué un signe avant-coureur qui a été sous-estimé par les observateurs. Mais surtout par les états-majors des grands partis qui confirment leur déphasage avec la société.