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La-bas (suite de la suite)

Publié le 02 mars 2011 par Feuilly

Plus loin, une petite rivière alimente toujours un lavoir étonnant, dont les poutres impressionnantes ont résisté aux siècles. On ne sait quelles jeunes filles venaient ici se pencher sur l’onde, rêvant à des amours impossibles tout en regardant les fils du seigneur qui, sur leurs montures, partaient pour des guerres dont ils n’allaient pas revenir. On imagine leur désarroi à l’annonce de la mort de ces princes et bien des larmes durent tomber dans l’onde du lavoir, des larmes aussi secrètes qu’inavouables. Quant à celles qui avaient eu plus de « chance » et qui, malgré leur servile condition, avaient été remarquées un instant, elles avaient perdu leur honneur dans des amours ancillaires. On les retrouvait bientôt courbées sur le linge à laver, le frottant avec désespoir, puis, subitement, on les voyait se tordre de douleur et s’affaler sur la pierre froide et mouillée, tentant désespérément de cacher leur ventre proéminant, fruit douloureux de ces amours diaboliques.

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Elles étaient alors impitoyablement chassées et quand elles s’enfonçaient seules dans la grande forêt où gémissaient les loups, le rire cruel et ironique des seigneurs ressemblait à la lame qui allait tuer ces pauvrettes. Car une fois arrivées dans les clairières profondes, elles tentaient toutes de faire partir par le fer ce fruit du démon qui arrondissait leur ventre. Certaines y arrivaient, mais la plupart y perdaient la vie et après l’hiver on retrouvait près d’un arbre des restes décharnés dont les loups n’avaient pas voulu. Mais il y avait longtemps qu’on ne doutait plus de leur mort car chaque fois que l’eau du lavoir rougissait, on savait que l’une d’entre elles était morte dans son sang, transpercée par le fer de la honte, celui qui, par vengeance divine, met un terme à la vie des filles impudiques.

Ces histoires des temps anciens nous bouleversaient et c’est le cœur meurtri pour ces pauvres lavandières que nous continuions notre promenade. A quelques mètres du lavoir, nous apercevions bientôt les arcades d’un promenoir. Il ne restait que deux pans de mur avec des colonnes et la voûte qui soutenait le toit de tuiles, lequel était resté miraculeusement intact. La présence isolée de ce déambulatoire au milieu d’une clairière nous surprenait toujours. Les bâtiments dont il dépendait avaient été détruits et nous n’avons jamais su s’il avait appartenu à un couvent ou à un château. Des moines y méditaient-ils leur bréviaire ou de belles princesses y lisaient-elles des lettres d’amour, écrites par quelque chevalier parti bien loin pour une vague croisade ?

Plus loin, un muret de pierres sèches empêchait les passants de tomber dans une fosse. Celle-ci avait dû servir de cage pour les ours et nous supposions qu’une espèce de jardin zoologique avait été aménagé en ce lieu, peut-être au XVIIIe siècle. Rien n’était moins sûr, mais comment expliquer autrement l’existence de ces paons, redevenus sauvages, qui hantaient les alentours ? Leurs cris parfois nous glaçaient d’effroi, quand ils nous surprenaient au milieu du silence. Par contre nous admirions leurs parades amoureuses et quand les mâles faisaient la roue, il nous semblait voir dans leur plumage chatoyant comme le souvenir des vitraux d’une cathédrale à jamais disparue.

Près de la cage aux ours, à l’entrée du chemin qui s’avançait vers la forêt, deux lions de pierre évoquaient des continents lointains et inconnus, tandis que quelques arbres aux essences inconnues de nous avouaient une origine manifestement africaine. D’où venaient-ils, comment étaient-ils arrivés là ? C’était un mystère. Cette partie de la propriété avait-elle été consacrée à la botanique ? Nous imaginions alors quelque adepte de Linné ou de Jussieu occupé à cultiver ici des plantes rares et des espèces vénéneuses. Le « Genera Plantorum secundum ordines naturales disposita » aurait-il été écrit ici même que nous n’en aurions pas été autrement surpris.

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