Comprendre et relier pour transformer : tout ceci nécessite à l'évidence une méthode. Je ne connais qu'une exception remarquable à cette règle et elle est littéraire (1). Pour le reste, un peu d'inspiration ne va pas en ces matières sans beaucoup de travail, d'énergie et de persévérance et suppose à la fois une trame et un cadre d'ensemble.
Après une quinzaine d'années d'expérience de ces questions, la gestion d'une bonne quinzaine de crises internationales dont quatre ou cinq très sérieuses et la création ou l'accompagnement de cinq ou six démarches de changement dont trois significatives, à quoi il faut ajouter un certain nombre de réflexions croisées avec des dirigeants, des pairs, des consultants et des chercheurs, mon approche de la transformation s'appuie aujourd'hui sur le croisement de deux approches.
La première, à dominante interne, est basée sur la notion de confiance. La seconde, à dominante externe, est construite sur la notion d'écosystème. Je les retiens sur la base de deux critères simples : 1°) elles ont fait concrètement leurs preuves ; 2°) elles sont porteuses de développements très significatifs.
La méthode à dominante interne est basée sur la notion de confiance développée par Fallou & Serieyx dans "La confiance en pratique : des outils pour agir". Schématiquement, cette approche vise à définir à la fois un climat et un contrat de confiance. Côté climat, on passe au crible, sur la base d'un mix d'entretiens qualitatifs et d'enquête managériale plus large, le climat de confiance de l'entreprise à travers six thèmes fondamentaux : la clarté de la stratégie, la pérennité perçue de l'entreprise et la sûreté des règles du jeu, d'une part ; la fierté d'appartenance, la reconnaissance des contributions individuelles et le dépassement collectif d'autre part. Cela permet de repérer à la fois les points d'appui, et domaines d'amélioration dont découlent d'ailleurs directement les chantiers de progrès du projet de changement.
La méthode s'attache également à identifier ce que l'on appelle les "contrats invisibles" qui, à côté du contrat explicite qui lie chaque salarié à l'entreprise, permet d'identifier en profondeur sur un plan cette fois moins managérial que culturel les ressorts et les moteurs de son appartenance, ce qui permet d'ancrer solidement la démarche de changement dans la réalité de l'entreprise, bref, de construire sa légitimité.
J'ai expérimenté ce cadre d'action lors d'un projet d'évolution de la culture managériale d'un groupe minier que j'ai proposé, lancé puis coordonné aux côtés d'un cabinet qui avait formalisé cette approche à travers un travail de fond mené au prélable avec une vingtaine de dirigeants de grands groupes industriels. Mon point de départ, partagé avec le nouveau président du groupe de l'époque, était que des résultats semestriels spectaculaires qui faisaient suite à une restructuration d'ampleur ne suffiraient pas à mobiliser les troupes à la faveur, qui plus est, d'un changement de leadership qui donnait au contraire l'opportunité de bâtir avec le management et les équipes une nouvelle étape de développement de l'entreprise. Le résultat fut assez spectaculaire en termes aussi bien de justesse du diagnostic, et donc d'appropriation par les équipes, que de dynamique collective et de progrès concrets.
Aujourd'hui encore, le programme que nous avons mis en oeuvre continue de définir le cadre de réference managérial du groupe en question bien que quelques uns de ses principaux instigateurs n'y soient plus en fonction - un trait suffisamment rare pour être souligné quand nombre de démarches de changement ont à peine le temps de porter leurs fruits qu'ils s'effacent déjà devant le suivant. En quoi la gestion du changement a moins à voir avec l'affichage qu'avec la persévérance.
Quand elle cède en effet à la tentation de l'affichage, l'entreprise rejoint alors aux yeux de ses salariés ce qui disqualifie fondamentalement la politique aux yeux des citoyens : l'incapacité à honorer la promesse du changement. La défiance généralisée qui en résulte éloigne alors d'autant de l'optimum collectif, au prix d'ajustements différés qui n'en seront que plus brutaux - restructurations et licenciements dans un cas, rigueur et chômage dans l'autre. C'est précisément l'intérêt, et l'exigence, d'une démarche de changement basée sur la confiance que de proposer une approche différente reposant notamment sur un constat et un contrat partagés.
Au-delà de ce cas particulier, je crois que cette approche est appelée à d'importants développements pour une raison simple : elle propose de concilier facteur humain et performance d'une façon collectivement non seulement acceptable mais aussi désirable vis-à-vis de décideurs privés ou publics qui sentent intuitivement que c'est un problème majeur mais qui ne savent pas toujours très bien comment le traiter au-delà du diagnostic et de l'intention.
Cela vaut bien sûr dans notre pays dont le statut de société de défiance n'est plus à documenter. La comparaison à cet égard avec la société américaine est révélatrice. Aux Etats-Unis, le corps social de l'entreprise peut se concentrer sur la recherche maximale de l'efficacité à l'exception de toute autre considération. La cohésion n'est pas un sujet, c'est une donnée, et cela d'autant plus que l'on a affaire à une culture davantage centrée sur les tâches que sur les relations. Par opposition, le modèle français est marqué à la fois par un sens critique beaucoup plus développé et par une plus forte propension à la division... tout en étant plus centré sur les relations que sur les tâches. Bref, tous les ingrédients sont réunis pour compliquer les projets de changements. Ce qui fait qu'un projet visant à accroître les performances de l'entreprise doit mener de front à la fois la recherche de l'efficacité et la construction de la cohésion. A la limite, sauf peut-être dans des circonstances de crise exceptionnelles, la construction de la cohésion constitue un préalable, ce qui renforce encore l'intérêt d'une démarche fondée sur la confiance
Cela étant dit, la confiance apparaît bien comme un ciment de portée universelle, ce que la démarche précédemment évoquée a d'ailleurs permis de vérifier dans des pays aussi différents que le Gabon, la Norvège ou la Chine. Aux Etats-Unis-mêmes, la démarche trouvait une justification propre à travers la problématique de la relation entre une filiale (américaine) et un siège (français) dans laquelle le mot d'ordre de "mieux se comprendre pour mieux travailler ensemble" trouvait en lui-même une portée pratique partagée.
Voilà pour l'interne. Mais comment imaginer qu'un projet de changement n'intègre pas l'environnement externe qui revient aujourd'hui avec force dans le territoire de l'entreprise ?
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(1) Il s'agit du roman d'Antoine Bello, "Les éclaireurs", dans lequel une organisation futuriste, assez proche du concept de "transhumains" développé par Jacques Attali dans sa "Brève histoire de l'avenir", se borne pour l'essentiel à réunir des gens de talents partageant une ambition de progrès internationale mais sans leur fixer un cadre ou des objectifs a priori. C'est un modèle intéressant qu'il serait aisé de disqualifier en s'appuyant sur les réalités managériales... s'il ne correspondait pas déjà à une réalité en développement. Je pense à Google notamment qui s'impose à certains égards comme un modèle de référence possible de l'entreprise du XXIème siècle. Mais je pense aussi, plus largement, à certaines organisations internationales ou encore à la façon dont la génération Y envisage sa participation à l'entreprise comme une co-création.