À l’inverse de beaucoup, j’ai d’abord aimé, d’Hervé Guibert, ses chroniques, ses articles critiques sur la culture, les arts plastiques, la photographie aussi, que deux gros recueils ont récemment recensés chez Gallimard. J’y aime l’intelligence, la finesse, la justesse, la cruauté parfois, et il m’arrive assez souvent d’ouvrir un de ces livres au hasard et de m’y ressourcer, en quelque sorte. De Guibert, j’ai aussi aimé certains de ses livres, ceux sur les autres (même s’il y parle aussi de lui, bien sûr), les Aveugles, et surtout Suzanne et Louise, roman-photo à la tendresse sourde. Ses romans plus personnels, sur ses amours et sa maladie, m’ont inspiré des sentiments mitigés, attrait pour l’écriture et malaise face à cette exposition, ce narcissisme, cette indécence volontaire qui nous est projetée en pleine face (je n’aime guère Madame Angot non plus); rares, je crois, sont les écrivains d’aujourd’hui qui peuvent se prendre comme principal sujet de leur oeuvre impunément, une espèce éteinte depuis Céline, peut-être. Il en reste surtout la force de son témoignage sur le SIDA. Mais parlons photo.
L’exposition que la
MEP consacre aux
photographies d’Hervé Guibert jusqu’au 10 avril ravira ses nombreux fans et hagiographes (qui, je présume, posteront ici quelques commentaires bien sentis), tels l’auteure de ce recueil de citations* un peu trop sirupeuses à force de vanter au fil des pages sa beauté et son charme. L’observateur un peu moins partiel s’interrogera longuement : peut-on s’affirmer mal à l’aise face à cette posture photographique sans encourir le reproche d’homophobie ? Peut-on résister à la beauté sidérante de cet homme pour tenter d’aller au delà des apparences et d’émettre un jugement sur le travail photographique ? Peut-on, par exemple, juger déplacée, voire facile et vulgaire, l’apparition, au bout d’un long mur d’images de vestiges de corps morts et de fragments humains, provenant du Musée de l’Homme, de Grévin ou de chez
Fragonard, d’un corps vivant, son amant Thierry Jouno nu dans sa baignoire, photographié par Hervé Guibert le surplombant, et dont on ne voit que le slip gonflé et les jambes ?
Peut-on oser dire que le narcissisme exacerbé et le maniérisme (voir
Eugène et les églantines) de 90% des photographies montrées ici lassent vite ? Peut-on préférer ses photographies d’objets, les seules où il parvienne à maintenir une certaine distance, à exprimer un tempérament artistique autonome, même si cette photographie de planches-contacts qu’il est en train de détruire est
encore pleine de son image multipliée. Cette vue de sa bibliothèque montrant des livres submergés par des visages d’éphèbes est peut-être la plus ’objective’ de l’exposition, et, pour moi, la meilleure. Et le double portrait de Suzanne et Louise ne serait-il pas plus fort si Guibert ne venait pas s’y faufiler au premier plan, à la fois auteur, petit-neveu, photographe et sujet, omniprésent, étouffant
? On a parfois le sentiment que ce choix d’une posture narcissique, d’un sujet si étroit, d’une approche si compliquée, intriguante, brime le talent du photographe, le réduit, l’étiole.
* D’après une des personnes citées, Guibert serait le premier photographe à avoir oser s’affranchir du reportage, de l’instant décisif… No comment.
Ailleurs dans la MEP, une redécouverte de Marc Trivier : à ses pénétrants portraits d’artistes et d’écrivains, et à ses superbes crocs de boucher, je préfère les portraits de gens humbles, meurtris par la vie, enfermés en eux-mêmes à double tour, qu’il présente sur le même format que ses célébrités; aucune mièvrerie à cet étage. Aussi, des collages amusants de Prévert et des photos très macho de baroud indochinois par feu Henri Huet.
Photos ©Christine Guibert / collection Maison Européenne de la Photographie Paris. Photos 2 & 3 courtoisie de la MEP.