Le « gouvernement de professionnels » promis par Sarkozy n’aura vécu que du 15 novembre au 27 février. Un trimestre : juste le temps que
les français s’aperçoivent qu’en fait de « professionnels » les copains
du présidents n’étaient que des bras cassés…
Ah la la, quel métier que le métier de Président ! Être obligé de se coltiner un JT le dimanche soir – une première
dans l’histoire de la V° République, non ? – et tout ça pour annoncer quoi ? Un remaniement qui se veut minimaliste, mais qui, en réalité, marque un échec
pesant du Président.
Il l’a joué « historique ». Le Président a enrobé l’annonce d’un remaniement réalisé dans l’urgence en invoquant le
« changement historique » que constitue la révolution arabe (voir le texte intégral de l’allocation ci-dessous). Après avoir rappelé que toutes les démocraties avaient développé des
relations avec des dictatures qui constituaient des « remparts contre le terrorisme et le fondamentalisme religieux ». « Nous ne devons pas avoir peur » a ajouté le
Président comme s’il voulait reprendre la fameuse antienne de Jean-Paul II, précisant que le mouvement qui touche les pays arabes s’est accompli « au nom des valeurs qui nous sont les plus
proches, les droits de l’homme et la démocratie ». Le Président a tenté de préciser la ligne de crête difficile entre une « ingérence qui ne serait pas acceptée » et une
« indifférence qui serait une faute politique ». On aurait aimé que cette analyse judicieuse eut dictée la politique de la France depuis deux mois…
Enfin, Nicolas Sarkozy a tenté de montrer en quoi le destin des peuples arabes pouvait avoir des conséquences dramatiques en Europe s’il arrivait que de nouvelles dictatures s’imposent dans ces pays, évoquant même les flux migratoires souvent brandis par Marine Le Pen. Sauf que la solution proposée, le retour en grâce de l’Union pour la Méditerranée, chère à son conseiller spécial Henri Guaino, apparaît très en deçà de la main, compte tenu du bilan très modeste de cette initiative et du peu d’enthousiasme de nos partenaires européens, et notamment de l’Allemagne sur ce sujet.
Si le Président a voulu ancrer sa décision dans la Grande Histoire, il n’est pas interdit, bien entendu de re-situer ce remaniement dans la petite histoire du sarkozysme. On ne reviendra pas ici sur tout ce que tous les analystes ont bien décrypté cette semaine : la faillite de la politique étrangère française, l’incompétence et l’inexpérience du Président, son mépris des diplomates, sa façon de jouer la com à tout propos, son mercantilisme exacerbé ont bien affaibli une organisation internationale façonnée par des siècles de diplomatie. Au-delà de cet échec très lourd qui surgit au moment où le Président voulait se concentrer sur ce qu’il considérait comme son point fort, la politique internationale, avec la présidence du G20, le remaniement marque une étrange défaite présidentielle.
Pourquoi ? Parce que, une fois encore, la volonté présidentielle a dû s’incliner devant les exigences d’un homme – Alain Juppé – qui n’a jamais et ne sera jamais sarkozyste. Le scénario ressemble à celui qui avait vu François Fillon, celui que l’on appelait « Nobody » dans les coursives de la sarkozie, imposer tel ou tel ministre dans le remaniement de novembre dernier.
Novembre 2010. Cela paraît si loin déjà. Et cette fois-ci, le Président était dans la main d’Alain Juppé, et celle-ci, apparemment n’a pas tremblé. Pour venir au Quai d’Orsay où il a déjà exercé ses talents, le maire de Bordeaux voulait, et il l’avait déjà fait savoir, disposer d’une réelle autonomie. Rien à voir avec les maigres prérogatives accordées à Kouchner puis à Mam. Le Président doit donc s’exécuter. Il a, dans cette partie d’échec, sacrifié la « Tour » de l’Elysée, Claude Guéant, qui doit se féliciter d’obtenir un ministère maintenant, tant son ambition devenait incertaine si elle était restée arrimée à une réélection de plus en plus incertaine. Eh oui, on en est là au Château, on pense plutôt au dernier tour de manège qu’à un bis repetita….
Au-delà de ce jeu de chaises musicales – Mam dehors, Juppé au Quai d’Orsay, Guéant place Beauvau, Hortefeux à l’Elysée, Longuet à la Défense -, le remaniement marque un autre échec du sarkozysme : les hommes du Président, qu’ils soient d’ombre – Guaino et Guéant, encore qu’ils sont aussi des vus à la télé – ou de lumière – les Estrosi, Hortefeux, Bertrand et consorts – ont été carbonisés par trois ans et demi de magistère. Ceux que l’on appelle les ministres en cour – Juppé, Kociusko-Morizet, Le Maire, Baroin – viennent d’autres écuries et notamment de la chiraquie. Bien sûr, il ne manquera pas, dans les jours qui viennent, d’exégètes pour affirmer que le remaniement est un magnifique coup « à la Mitterrand », qui permet au président de confronter François Fillon à un concurrent supposé redoutable. La vérité est plutôt que le retour au premier plan d’Alain Juppé, après la « mode Fillon » de l’an passé, traduit une incontestable nouveauté : Sarkozy ne dispose plus de leadership sur la droite, et il aura du mal à empêcher la classe bourgeoise de lui chercher un successeur raisonnable.
Philippe Cohen pour Marianne 2.fr