L’ιquipe dirigeante d’EADS North America a ιtι reηue au Pentagone pour un «debriefing» du choix du Boeing 767A pour remplacer le vιnιrable ravitailleur KC-135R. Une explication de texte qui s’est dιroulιe derriθre des portes capitonnιes soigneusement fermιes, sans espoir immιdiat d’indiscrιtions. De toute maniθre, la messe a ιtι dite, officiellement tout au moins, sur base de considιrations essentiellement financiθres : l’avion amιricain ιtait moins cher que ne l’ιtait son concurrent amιricain, encore que plus petit et moins performant, ceci expliquant cela. Dθs lors, sans doute s’agissait-il de comparer des pommes et des poires, les deux appareils ιtant de toute maniθre parfaitement capables d’assurer les missions dιtaillιes dans le cahier des charges KC-X.
A Washington, nul ne risque ΰ reconnaξtre que le KC-330 prιsentait le grave dιfaut d’κtre europιen, ou plus exactement non amιricain, obstacle devenu infranchissable malgrι les bases solides du dossier EADS. Son poulain, en effet, ιtait amιricain ΰ hauteur de 57 ΰ 59%, devait κtre assemblι en Alabama et crιer de trθs nombreux emplois «dans cette ville amιricaine pleine d’Amιricains».
Le KC-330, ΰ l’image de l’industrie aιronautique tout entiθre, est un produit «global», quasiment apatride. En parallθle, on imagine la satisfaction des Japonais et des Italiens, assurιs de bιnιficier d’une importante charge de travail tombιe du ciel, grβce ΰ leur participation ancestrale ΰ la production du 767. Les politiques amιricains les plus furieusement anti-europιens avaient curieusement oubliι d’ιvoquer cet aspect du dossier.
La polιmique ΰ tiroirs qui a entourι le KC-X pendant 8 ans se termine de maniθre finalement trθs dιcevante. On attend avec impatience les prιcisions qui monteront tτt ou tard ΰ la surface, notamment parce qu’il ιtait beaucoup question ΰ Washington, dans les milieux «bien informιs» et les dξners en ville, de la victoire quasiment certaine d’EADS. Aujourd’hui, il faudrait afficher une grande mauvaise foi pour reconnaξtre que la victoire de Boeing a constituι une surprise, un coup de thιβtre.
Mκme Richard Aboulafia, incontournable analyste du Teal Group, plus profondιment anti-Airbus qu’il n’en a l’air ΰ premiθre vue, a ιtι dιstabilisι l’espace d’un instant. Un ιlu dιmocrate, Jay Inslee, a diffusι un communiquι regrettant la dιfaite de Boeing, un texte visiblement prκt de longue date, avant de se ressaisir honteusement. Les mιdias les plus influents, eux aussi, croyaient ΰ une victoire europιenne : la presse captive comme le Seattle Times, bien sϋr, mais aussi de grands vecteurs d’opinion comme le New York Times. Ce dernier, par exemple, la veille du choix, s’interrogeait encore sur le comportement du Government Accountability Office s’il avait ΰ traiter un appel de Boeing. Ici et lΰ, avec honnκtetι, et en reconnaissant prudence et incertitudes, des attachιs de presse consciencieux ont avouι avoir rιdigι deux communiquιs dont le contenu diamιtralement opposι leur permettrait de rιagir vite, quel que soit le verdict.
Cτtι politique, il conviendra de procιder ΰ l’analyse attentive des propos tenus par les uns et les autres et, surtout, par l’absence de commentaires lΰ oω on ιtait en droit d’attendre des prises de position trθs fermes. Cτtι amιricain, les rιactions ont ιtι banales et convenues, ΰ commencer par celle de la tonitruante Patty Murray. Autre ιlu de l’Etat de Washington, Norm Dicks, jamais en retard d’une grosse exagιration, a affirmι que la victoire de Boeing constituait le plus beau jour de sa carriθre.
En Europe, dirigeants d’EADS mis ΰ part, le silence politique a ιtι assourdissant. Courageusement, Bernard Carayon, dιputι du Tarn, a sauvι l’honneur des parlementaires en diffusant un bref communiquι bien tournι. «L’ιchec d’EADS n’est pas celui d’une entreprise mais celui de l’Europe : EADS n’a pas luttι contre Boeing mais contre un Etat tout entier mobilisι pour gagner au prix de mιthodes ingιnieuses et parfois inqualifiables». Bernard Keller, maire de Blagnac et vice-prιsident du Grand Toulouse, a soulignι que la prιfιrence amιricaine a jouι pleinement, une prιfιrence qui, subtilement, perpιtue un systθme d’aides indirectes au constructeur amιricain, via les marchιs militaires.
Dans le mκme temps, c’est vainement que l’on a tendu l’oreille du cτtι du Prιsident de la Rιpublique, le Premier ministre, de l’ιphιmθre ministre de la Dιfense dιjΰ en route vers les Affaires ιtrangθres. Mais qui pouvait s’intιresser ΰ un marchι de 35 milliards de dollars alors qu’il s’agissait au mκme moment de tirer les leηons planιtaires des vacances de Noλl des plus hauts responsables franηais ? Aucun d’eux n’avait eu l’idιe de planter sa tente sur les rives du Potomac, le plus modeste des secrιtaires d’Etat n’avait eu choisi de promener son chien dans la magnifique forκt d’Everett et, bien sϋr, Chicago n’avait jamais ιtι considιrι comme une destination digne d’intιrκt. Il est vrai que, pendant les vacances, on le sait depuis peu, les ministres ne sont plus ministres. Le Pentagone ne devrait jamais choisir un fournisseur en pleines vacances d’hiver…franηaises.
Pierre Sparaco - AeroMorning