Restaurant Guy Savoy
18 rue Troyon, 75017 Paris (le salon privé, au numéro 13, est juste en face).
Tél. : 01 43 80 40 61. Site Web.
Un vendredi soir de mi février 2011, F nous (O, WM, JP et moi) a organisé un diner chez Guy Savoy (le père spirituel de Gordon Ramsay!), dans le salon privé. Cette belle soirée fut l’occasion de découvrir et d’apprécier la cuisine de ce grand maitre.
Avant propos
Il arrive en cuisine ce qui s’est passé dans l’art et surtout la peinture à la fin du XIXe, au début du XXe siècle. La nouvelle génération, pour marquer sa différence avec les Anciens, plutôt que de continuer dans la même voie et de continuer à essayer de faire mieux, a pris un autre virage et de nouvelles tendances sont nées. L’Art est devenu arts et culture. Plus besoin de maitriser à fond les classiques, ni de suivre un long, fastidieux et parfois pénible apprentissage. Le Beau et le Travail sont remplacés par l’inédit, le provocant voire choquant. Le résultat, c’est une banalisation et une désacralisation de l’Art, et une démocratisation outrancière. N’importe qui (ou presque) peut devenir artiste : il suffit de trouver un concept un peu original comme réaliser uniquement des monochromes, écrire en blanc sur fond noir, mettre des excréments en conserve, faire du bruit, prendre de photos de l’Amérique d’en bas, se mettre en scène avec une starlette du X…
En cuisine et dans les restaurants, même si ce n’est pas de l’art, mais plutôt de l’artisanat, c’est la même chose, avec un peu de retard. La Nouvelle Cuisine, dans les années 70, a cristallisé et formalisé un allégèment et une modernisation des codes de la Grande Cuisine Française. Certains petits malins opportunistes mais pas très doués aux fourneaux ont tenté de s’y mettre, amenant un peu de discrédit sur ce mouvement (vous savez, les grandes et belles assiettes avec un minimum de mise en scène, mais avec des réalisations pas très réussies et pas grand chose à manger…), et puis, en deux décennies, ce mouvement est devenu norme. Certes on trouve encore des adresses à l’ancienne, mais elles sont souvent beaucoup moins prisées, sauf pour leur côté retro/vintage.
Dans les années 1990, les progrès des industries agro-alimentaire et chimique ont aussi intéressé les chefs, et nous avons eu droit à la cuisine techno (comme en musique) parfois appelée moléculaire (par opposition à atomique?). En parallèle, comme la majorité des populations des pays développés (notamment en France et en Grande Bretagne) a vu son niveau de vie moyen stagner, les empêchant (ces gueux!) de pouvoir aller manger dans des restaurants étoilés plusieurs fois par an; beaucoup de chefs ont choisi la voie gastro-pub (ou bistronomie), leur permettant d’exercer leurs talents avec des effectifs réduits, dans un cadre moins prestigieux, mais permettant de proposer des prix plus abordables, et donc de toucher un public beaucoup plus important, qui, en plus peut revenir à une fréquence plus élevée. Ici encore, pour l’évolution technologique, comme pour le changement de business model, on a droit au meilleur comme au plus scandaleux. Une petite vingtaine d’années après, ces bonnes pratiques se sont démocratisées, et beaucoup de chefs, sans pour autant être des chantres de la cuisine moléculaire ou du gastro à moindre prix, adoptent certaines de leurs techniques et approches. Ces incréments sont une bonne chose, mais ce n’est pas un bouleversement majeur, puisque leurs impacts, certes non négligeables, n’ont pas de portées aussi grande que celle de la Nouvelle Cuisine.
Un grand restaurant, un trois étoiles Michelin, c’est une valeur sure. Une adresse d’exception, pour les grandes occasions. Étant donné le budget d’une telle aventure, le client est en droit d’être exigeant et d’obtenir le meilleur, de tutoyer la perfection. Cet exceptionnel, ils ne sont pas nombreux à l’atteindre, ces jeunes chefs de la nouvelle génération, souvent mal rasés, qui se prennent pour des stars parfois à même pas trente ans. Il y a un mélange de m’en foutisme et parfois d’arrogance, tous les deux regrettables. Ils feraient bien, pourtant, de voir comment ça se passe dans une véritable institution comme chez Guy Savoy, par exemple…
Apéritif
Arrivés un peu en retard (A tardant à se coucher, pas de taxi à la borne, trajet en bus avec un changement à l’Alma), nous sommes chaleureusement accueillis côté restaurant, mais nous ne restons pas, nous traversons la rue pour aller en face, dans le salon privé, où nos trois camarades ont déjà commencé la soirée.
Nous découvrons le menu sur mesure, préparé pour permettre de s’initier aux spécialités de ce chef étoilé Michelin depuis 30 ans (trois étoiles depuis 9 ans). 300€ par personne, vins compris.
La table est classique et soignée, avec un peu de fantaisie apportée par les grandes assiettes colorées.
De petites parts de gaufre au parmesan agrémentées de crème à la truffe blanche accompagnent agréablement le Champagne maison et nous ouvrent l’appétit.
Le service sera assuré par l’aimable et efficace Solène. Nous aurons droit à une courte visite de Guy Savoy en début de diner, et à plusieurs riches interventions de Sylvain, le sommelier. Hop, un mini sandwich au foie gras. Champagne agréable et sympathique, pour commencer tranquillement.
Les choses un peu plus sérieuses commencent avec ce velouté de cèleri, servi comme un café. L’ami WM ne pouvant pas supporter le lait, des alternatives alléchantes lui seront proposées chaque fois qu’il y a du lait dans une préparation. Cela a l’air tout simple, mais c’est remarquablement bien fait et c’est bien le produit qui est mis en avant, sous une forme et une texture qui n’ont pourtant rien à voir avec sa forme brute. Cuisine moléculaire? Nous attaquons l’excellent Chenin blanc (Loire, donc) : Jasnières, les Rosiers 2007, du Domaine de Bellivière, d’une belle robe jaune laiton et d’une minéralité bien dosée.
Huître
Huitre en nage glacée : l’huitre dans tous ses états. En plus de l’huitre entière, une purée d’huitre, une gelée d’eau de mer et un peu de végétal. L’aspect est un peu déroutant, et sur la photo, c’est presqu’un peu repoussant : l’esprit de l’huitre est bien respecté! En bouche, c’est un cocktail détonnant, avec à la fois un dégradé de textures, de températures et de saveurs. Et oui, les huitres ça sent l’eau de mer, mais la gelée ici présente permet justement de discerner les différences, bien réelles. Et hop, même les non amateurs d’huitres se mettent à aimer ça. Restent-ils non amateurs, ou ont-il été convaincus et convertis que les huitres, c’est bon?
Passage au Meursault 2007 de Pierre Boisson (il me semble, et pas Boiron, comme indiqué sur la carte) : on s’élève encore un peu plus vers le nirvana. Interventions du sommelier qui vient échanger, et nous en apprendre plus sur les vins qu’il nous a très judicieusement choisis.
Volaille
Dans l’intitulé : « Terrine marbrée de suprême de volaille de Bresse, foie gras et artichaut, vinaigrette à la truffe », cherchez la vedette! Vous risquez d’avoir des réponses bien différentes, puisque l’on a ici quatre challengers de choix. Les esprits facétieux remarqueront que les deux petits tas de condiments (sel blanc et poivres plus foncés) sont en fait des yeux, que la terrine correspond à un nez et une bouche et que la vinaigrette n’est ni plus ni moins qu’une grande langue tirée! Oui, je sais, il faut de l’imagination, mais j’aime bien ce clown-là. En fait, l’ensemble est une belle cohérence et j’ai particulièrement apprécié l’artichaut, et la vinaigrette merveilleusement bien dosée! Cela tombe bien, on a droit à une seconde tournée, qu’on saucera jusqu’à la dernière goutte.
Poisson
« Bar en écailles grillées aux épices douces » : avec la peau et les écailles donc, champignons, côtes de bettes et fumet de bar infusé à la vanille et aux épices douces. J’aime bien manger la peau, que ce soit dans les pièces de volaille ou dans les poissons. Les gens trouvent ça souvent étrange, voire un peu repoussant. Merci à Guy Savoy de me faire sentir moins seul! Les épices sont présentes, mais discrètes, toujours dans l’esprit de mettre en avant le bar, sans l’assommer ni le noyer. Le jeu de textures continue, toujours en nuances et dégradés. Miam miam!
Après le Chenin et le Chardonnay, nous attaquons un autre cépage que j’aime particulièrement, la Syrah, à travers un Crozes Hermitage « 1920« , millésime 2005, hommage de Gilles Robin à son arrière grand-père. Longueur, subtilités, et quel nez!
Viande
Le jarret de veau « confit-braisé » , nous est présenté dans son plat, avant de retourner en cuisine pour être découper et disposé dans nos plats.
Pour nous faire patienter, une tasse de la fameuse « soupe d’artichaut à la truffe noire, lamelles de truffe noire et copeaux de parmesan ». Guy Savoy fait son artishow ce soir! « Brioche feuilletée aux champignons et beurre de truffe tartiné ». On retourne sur terre (et sous terre) avec ce beau plat de saison, que l’on sirote savoureusement. Et on ne dit pas non à un rab de brioche non plus.
Notre ami le veau arrive quelques instants après, accompagné de deux belles quenelles de purée de pommes de terre à la truffe pour nous,
et d’une couronne de champignons poêlés (sans lait, donc), pour WM.
Même si certains grincheux l’ont trouvé un poil trop cuit (n’est-ce pas l’essence du confit?), la sauce délicate, mais pas innocente, empêche toute velléité de trouver cela trop sec. Le couteau sert juste à manger de façon civilisé, une fourchette ou une cuiller suffisent… Et la purée à la truffe noire, je sais, certains coureurs de scoops peuvent trouver ça d’un has been… Du has been comme ça, j’en mangerais tous les jours.
Desserts et douceurs
Transition vers la fin de ce diner avec guimauves et cube aux fruits secs, histoire de s’éloigner de notre ami le veau. Puis deux petites bouchées, l’une fruitée, l’autre plus sucrée. Hop, papilles reprogrammées et prêtes à poursuivre.
La pomme Granny Smith : en multi textures, températures et saveurs croustillante, en granité, en sorbet, en jus. Tellement léger qu’on dirait qu’il va s’envoler. Simple, homogène, toujours le produit en avant.
Je n’ai plus de souvenir précis du Rasteau 2008 du domaine du Trapadis, d’Hélen Durand, et c’est bien dommage. Vin doux naturel, je l’aurais situé comme un cousin des vins doux du Languedoc, type Maury du Mas Amiel. Rasteau est au sud de la vallée du Rhône. J’essaierai de faire plus attention la prochaine fois. Petits macarons entre deux desserts.
Puis c’est au tour du « Noir : sorbet au chocolat noir sur un biscuit au chocolat et pâte d’amandes, imbibé au jus de citron vert, ganache au chocolat parfum cardamone, et poivre ». Noir sur noir, si loin du désespoir. Encore une déroutante simplicité et sobriété visuelle, qui cache bien son jeu. Simplement délicieux, là encore…
Alors que l’on aurait pu s’arrêter là ou se contenter, à la limite de deux trois mini mignardises, les « desserts d’enfance » : crème caramel, riz au lait, glaces… débarquent.
Aller, hop, quand même, même si l’on a plus faim et que l’on a déjà très bien profité de la soirée, on se dit qu’on va quand même goûter ces petits trucs tous simples, classiques et délicieusement rétro. Quel nostalgique ce Guy Savoy, nous servir des desserts maison, à l’ancienne, histoire de nous rappeler que cela n’a rien à voir avec les préparations toutes faites que l’ont trouve dans la grande distribution. Touchant, presqu’émouvant!
Attention à l’overdose, tout de même. Le riz au lait aux pralines, intense, n’est pas apprécié à sa juste valeur, il arrive trop tard!. Heureusement, une boule de sorbet est là pour faire passer…
Cette soirée qui avait commencé de façon assez solennelle s’est bien détendue au fl des plats et des bouteilles. On chambre l’un, on rigole avec l’autre, on finit par trinquer avec le sommelier, en fin de service, et par dire au revoir à la charmante Solène en lui faisant la bise! Qui a dit qu’on ne s’amusait pas dans les trois étoiles et que l’ambiance était trop sérieuse? À refaire bientôt!
Bilan
Formé chez des chefs très « Nouvelle Cuisine », Guy Savoy a su faire évoluer sa cuisine pour y exprimer sa sensibilité, dans un sens permanent du détail. Produits premium et de saison, préparations impeccables, maitrise indéniable. Beaucoup de goûts et de saveurs, sans pour autant partir dans tous les sens et sans non plus chercher à suivre les dernières tendances, souvent futiles et éphémères. Le produit est respecté et glorifié, grâce à du très beau et bon travail, mais sans fioritures ni dogmatisme stérile et auto-suffisant. Certes, il n’y a pas forcément de plat super extraordinaire : avec un produit rare, inédit ou insolite, de présentation « from outer space », ni d’accord de la mort qui tue… C’est somme toute assez classique et on comprend que les inconditionnels de nouveauté et de jamais vu ne s’attardent pas ou ne reviennent pas souvent chez Guy Savoy. Dommage pour eux. Mais, si vous êtes normalement constitué, que vous avez un minimum de goût pour les bonnes et belles choses, bien faites, alors il y a de grandes chances que vous passiez de très bons moments chez Guy Savoy. C’est un ensemble, une cohérence solide de très grande qualité. Son déménagement à l’Hôtel de la Monnaie (75006) permettra de rééquilibrer un peu la distribution géographique des trois étoiles à Paris, en faveur du centre et de la Rive Gauche.
Lire aussi le compte rendu récent de LuxEat sur un repas chez Guy Savoy.
Rédigé par chrisos