Eurafrique

Publié le 01 mars 2011 par Copeau @Contrepoints

Les révolutions passées, en cours ou à venir dans le monde arabe nous invitent à réfléchir au futur de ces pays. Cette réflexion peut conduire à la peur ou à l’espoir.

La peur est celle d’un basculement total dans l’islamisme militant : la Tunisie, l’Égypte, la Libye et les autres vont-elles s’aligner sur le modèle iranien ? Cette éventualité n’est pas à exclure, mais il y a, de mon point de vue, plusieurs éléments à prendre en compte pour l’écarter.

Tout d’abord, ces révolutions ne se sont pas faites sous la bannière de l’Islam, bien que les formations islamistes, comme les Frères Musulmans, n’aient pas manqué l’occasion de se manifester. Ensuite, le modèle iranien a lui-même du plomb dans l’aile, et le vent de la liberté commence à souffler à Téhéran. Enfin, les tensions religieuses entre musulmans sont très fortes et l’hostilité entre chiites et sunnites, toujours très vive en Irak, se retrouve dans la plupart des pays du Proche-Orient. La haine commune d’Israël est-elle de nature à fédérer une force islamique puissante au Proche-Orient ? On peut en douter.

Évidemment ce n’est pas une raison suffisante pour se rassurer à bon compte, pour être inconscient de la menace islamiste, très réelle ici comme ailleurs. La vigilance s’impose, et on ne saurait se réfugier dans un discours laïciste qui conduit à prôner le désarmement spirituel de la chrétienté, ni dans un discours relativiste qui met sur le même plan civilisation et barbarie. Défendre et promouvoir la liberté, c’est donner priorité à la dignité de la personne humaine, et l’Occident a besoin de remettre en honneur les vertus individuelles et les règles sociales qui permettent de vivre dans l’harmonie et la paix. Cela dit, la vigilance et la renaissance ne sont pas des réactions de peur. Elles assurent au contraire la sauvegarde de nos nations.

L’espoir, après ces révolutions, c’est la perspective d’une autre renaissance : celle de tous ces pays que l’Histoire a laissés en marge depuis plusieurs siècles, qui n’ont participé que par ricochet, à travers la colonisation, au grand élan du capitalisme et de la démocratie. Aujourd’hui quelques apparences de progrès sont données par la richesse artificielle née du pétrole et du tourisme, mais les bases du développement ne sont toujours pas là. C’est sans doute cette ségrégation, cette exclusion, qui donnent à la jeunesse de ces pays le sentiment d’être sur le banc de touche, et de ne pouvoir entrer sur le terrain.

Cette jeunesse a pris implicitement ou explicitement conscience que le régime politique était la cause essentielle de cette discrimination. Elle en a rendu parfois l’Occident responsable, et ce sentiment est légitimé par la complaisance, et souvent le soutien apporté aux dictateurs par les gouvernements occidentaux et le organisations internationales comme l’ONU.

L’Occident, et en particulier l’Europe, doit prendre acte des erreurs commises, rompre avec l’indifférence et ouvrir à ces jeunes, à ces peuples, la voie de la liberté et du développement.

Je crains que l’on se borne à souhaiter la « démocratisation », comprise comme l’organisation d’élections libres, ou la liberté de la presse – bien qu’elles soient des signes d’un vrai changement. Les attentes de la jeunesse des nations révoltées sont bien au-delà d’une façade politique. Elles sont dans l’intégration réelle dans le concert mondial. Depuis trente ou quarante ans, cette intégration n’a été accessible qu’à une minorité, au prix d’une émigration, démarche individuelle difficile, qui débouche parfois sur le succès, parfois sur une nouvelle exclusion. Il s’agit maintenant de réussir une intégration totale et nationale.

C’est pourquoi je sors des placards cette vieille idée de l’Eurafrique, ce projet d’une communauté de destin entre les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée. L’idée a été provisoirement enterrée avec la prise en mains de l’Algérie par des barbares hostiles non seulement à la démocratie, mais aussi au capitalisme. Mais l’idée a toujours le même intérêt : faire de la Méditerranée non pas une barrière mais un pont.

L’Union européenne peut-elle s’intéresser à ces jeunes nations ? J’en doute. D’une part la diplomatie européenne est à l’image de Madame Ashton : invisible, inconsistante. D’autre part la tâche n’incombe pas prioritairement à quelque entité politique, ni aux États dont l’ingérence maladroite a conduit en partie à la situation présente. Il n’est nul besoin d’un montage politique nouveau ne concernant que les dirigeants et ignorant le peuple et surtout les jeunes. Le but n’est pas la signature de contrats spectaculaires pour vendre des avions ou installer des centrales.

Les tâches à accomplir maintenant sont tout autres. C’est d’abord aider à la formation du capital humain, par l’éducation et la santé, c’est encore veiller à l’emploi de ce capital humain, et pour cela développer l’esprit d’entreprise, la volonté de progrès personnel, c’est enfin persuader les futurs dirigeants de réaliser la vraie révolution, celle des institutions, en instaurant l’État de droit, à commencer par le droit de propriété privée, ignoré en fait dans pratiquement tous les pays concernés.

Ces tâches incombent aux entrepreneurs, à la société civile. Elles doivent déboucher sur une large ouverture au commerce, à l’investissement, à l’entreprise, à l’initiative et à la qualification. Ainsi ont procédé les pays aujourd’hui émergents. C’est au tour des nations révoltées de devenir maintenant des pays émergents. Eurafrique ne signifie pas autre chose que ceci : nous, les Européens, sommes responsables de l’émergence de ces pays. C’est leur intérêt, et c’est aussi le nôtre, si nous voulons éviter les scénarios de la peur et de la guerre.