Après raccommoder me tourmente, en 2008, après phasmagoria, en 2009, Claire Le Cam publie aux mêmes éditions Isabelle Sauvage son troisième opus. On avait pu noter précédemment le caractère volontaire de cette voix, ça n’est pas démenti. Formellement, cela se présente comme le journal d’un mois, non point daté, mais numéroté, du « Jour 1 » au « Jour 30 », et si la numérotation va dans l’accroissement, le paradoxe étrangement logique est que cela tient du compte à rebours ; l’auteur conclut un pacte avec le lecteur dès son premier jour de texte :
Vous sentez cette réalité si différente de celle dans laquelle vous êtes. Alors prêtez-vous au jeu et imaginez. Imaginer un jour. Il ne nous reste qu’à imaginer des choses juste d’un jour, des choses juste à ne pas dire ou si peu à peu à dire. Mais un jour on s’en moque on s’en moque à ne vivre que trop tellement trop. Le jour dit est ressentie une réalité. Cette même réalité qui commence à poindre et que l’on voudrait encore lointaine. Or il faudrait accepter que la réalité ne soit plus sienne ne soit plus mienne ne soit plus vôtre il faudrait oublier le quotidien oublier le quotidien oublier le quotidien oublier le quotidien. Y êtes-vous ? Vous y êtes. (p.5)
La citation est longue, mais elle dit cette invitation à entrer dans les jours en compagnie d’une instance d’auteur qui transforme ledit accroissement en décroissance gonflée de verbe ; invitation à la réalité, certes, mais invitation à celle d’un texte qui conte les jours en ayant préalablement puisé dans la « vie réelle » par concentration de micro-événements ou micro-choses, choisis et raboutés les uns aux autres, grossis en proses sérielles, filant d’un mouvement ferme, souvent caustique dans le propos, parfois colérique, auto-dérisoire essentiellement (« De l’art de parler la plume dans le cul. Elle y travaille. Le cul ahuri et tordu mais elle y travaille »), pour construire une réalité textuelle qui semble au final une dévoration gargantuesque du temps vécu : cela se lit avec cette impression d’une vie réelle passée à la moulinette du verbe. L’accroissement rapide des jours et la précipitation vers le rien sont mimés par une écriture mêmement rapide, mais affamée et mordante. On s’emporte, en tant que lecteur, comme s’emporte la narratrice de ces/ses jours, et cet emportement fait un bon semblant de vivre, car la réalité est transformée de belle patte…
Jour 19
Mon corps doit rester humide, pas au point d’être mou juste être tendre ; il faut que je respire avec un taux d’humidité suffisant ; j’ai besoin de cumuler cette humidité de la rencontre, de l’agitation et de l’effort. Je me sens femme endogée et en un instant tout étrangement un brin épigé comme un gâte-papier résolu à le rester. J’ai donc l’anus rose et la bouche marron. Je navigue entre deux zones, deux esprits érogènes, deux pores. Je me nourris de bois mort (juste essentiellement en provenance de la forêt de Paimpont) et d’amour-compost. Je suis en vie entre le liquide que j’ingurgite et le pourri que je grignote dans un peu chacun des tunnels que j’emprunte. Je suis sur la pente mais je rends service finalement. (p.20)
Cette poète a du rythme, pose son temps en travers du cours chronologique ; on en aurait presque réclamé un peu plus, car on ne se lasse pas d’une telle énergie sans affect et sans absence non plus.
Jean-Pascal Dubost
Claire Le Cam
d’un jour à un autre je vivrais autre
éditions Isabelle Sauvage
32 p., 8 €