Titre original : The Dumb House
(Ecosse, 1997)
Terrifiant
"Nul ne pourrait dire que ce fut un choix de ma part de tuer les jumeaux, pas plus qu'une décision de les
mettre au monde. Ces événements s'imposèrent l'un et l'autre comme une nécessité inéluctable, un des fils dont est tissée la toile de ce que l'on pourrait appeler destin, faute de
mot plus approprié... un fil que ni moi, ni personne n'aurait pu ôter sans dénaturer le motif entier."(p. 15) : c'est ainsi que commence l'histoire d'un célibataire, vivant seul
depuis la mort de sa mère, dont il reste obsédé, jusqu'à cette histoire qu'elle lui contait, qui va conditionner toute son existence et lui faire tenter cette expérience de savant fou, celle
d'enfermer ses nouveaux-nés au sous-sol pour vérifier si le langage est acquis ou inné, au quel cas à quoi il ressemblerait dans sa pureté originelle...
Un vrai cas de conscience que ce roman extraordinaire, atrocement beau, nous laissant tiraillé entre l'envie de reposer là cette
histoire violente, n'ayant encore jamais autant poussé de cris d'horreur à la lecture d'une simple livre, et le désir intact et plus fort que jamais de lire jusqu'au bout ce texte
poétique pourtant magnifique décrivant la logique implacable d'un savant fou, d'un monstre, pour lequel l'être humain comme l'animal est quantité négligeable, jusqu'à
l'inciser vivant, sans aucune hésitation et sans remords, et au contraire en prenant un plaisir évident à disséquer les mécanismes du vivant. C'est pourquoi on se prend à se demander comment
évaluer une telle oeuvre, tenté de confondre le texte avec son sujet, gêné de cette violence inouïe, jamais jugée. Et puis, on songe à Psychose d'Alfred Hitchcock, dont Norman Bates
semble assez proche de notre narrateur, marqué par sa mère au point de dormir auprès d'elle morte, au Ventre de la fée d'Alice Ferney, sujet déroutant et fascinant pour cet autre
premier roman d'un auteur qui n'a fait que se confirmer depuis, où une femme quasi-parfaite met au monde un futur nécrophile, à l'impression durable qu'ils ont laissés sur nous et à leurs
qualités cinématographiques ou littéraires intrinsèques.
A quoi tient ce sentiment d'horreur ? A la cruauté des actes commis, sans aucun doute, mais surtout c'est la focalisation interne qui
nous permet d'appréhender, de façon quasi clinique, la souffrance et la mort d'êtres vivants telles que les perçoit le narrateur, et crée de fait tout à la fois un effet de distanciation bien
plus grand que ne le ferait un témoin qui contemplerait les scènes, et le sentiment intolérable d'une complicité subie dans ce désir de savoir inassouvi.
A ce sentiment d'horreur se superposent des réflexions sur le consumérisme, sur le langage, sur l'âme, sur l'émerveillement
devant le principe de vie et de mort, sur la beauté de l'anatomie et de la femme, sur la nature de relations avec autrui, sur la connaissance scientifique par
laquelle seule le narrateur ne voit et n'opère, passant à côté de l'expression poétique d'un
être-au-monde ou un être-pour-autrui qui dépasse la raison, qui touche à l'indicible...
Le tout est écrit dans une prose poétique... Un pur délice !
A vous de juger si vous vous sentez capable de
supporter un tel choc, à la fois littéraire et émotionnel.
Sa présentation chez l'éditeur.
Ses autres romans critiqués dans mes petits carnets :
Les empreintes du diable (2008) ***
Une vie nulle part (2005) ****
BURNSIDE, John. – La Maison muette / trad. de l'anglais (Ecosse) par Catherine
Richard. – Métailié, 2008. – 201 p.. – (Suite écossaise). - ISBN 978-2-86424-637-4 : 8 €.