Le 16 octobre 1973, les membres de l’OPEP envoient le...

Publié le 01 mars 2011 par Fabrice @poirpom

Le 16 octobre 1973, les membres de l’OPEP envoient le monde entier se faire voir.
Pétrole? Zeubi!
Ils coupent les valves. Finis les sets d’assiettes et les peluches. Finis les points de fidélité dans les stations essence. Nombre de ces sympathiques commerces ferment progressivement en Occident, faute de produit phare.
C’est sympa les barres chocolatées et les chewing-gums sur le comptoir de caisse. Mais ça ne fait pas tourner un business.
Cependant, dans certaines zones du monde, au Nord de l’Europe par exemple, un espoir surgit pour limiter la crise. En effet, le pétrole a la bonne idée de couler dans bien des veines. Mais, en bonne pisseuse qui aime se faire désirer, il a le chic pour trouver des spots réservés aux motivés. Comme en Mer du Nord, autour de la Grande Bretagne.
Étudier la faisabilité d’un projet d’exploitation de gisement de pétrole en haute mer est compliqué. Mais, si ça marche, la cocaïne devient un condiment pour ceux qui savent s’y prendre avec l’or noir.
L’Écosse y voit une aubaine: dynamiser le trou de balle pisseux qu’elle est. Gisement de pétrole offshore égale plateforme égale chantier de construction et ports d’activités égalent ouvriers sur ces chantiers égalent salaires égalent pouvoir d’achat et consommation égalent impôts égalent caisses pleines et dynamisme économique.
Accent affreux mais forts en maths, les Écossais.
Les exploitants sont invités à se balader au large des côtes, repérer les potentiels. Et les autorités s’enflamment. À Portadavie, sur la péninsule de Cowal, dans les Highlands, à une centaine de kilomètres à l’Ouest de Glasgow, tout le monde connait la définition du mot anticipation.
En 1975, Alors que les experts se baladent en mer, les autorités décident de construire un village dédié aux ouvriers d’un chantier qui pourrait se faire dans le coin. Dans l’année,  un joli lotissement avec petits appartements privés, laverie, allées cimentées, parterres de fleurs et petit port d’activité pousse comme une fleur au printemps. Un projet de plusieurs millions de livres sterling. De quoi accueillir cinq cents personnes. Un village témoin pour ouvriers. On lui trouve même un nom.
Polphail.
Un traiteur est contacté. Établir un devis pour le jour de l’inauguration.
Mais rien se passe.
Pas de plateforme - zone trop dangereuse. Pas de chantier - mauvaise conception dans un lieu inadapté. Donc pas d’ouvriers. Ni pouvoir d’achat ni consommation.
Caisses vides et trou pisseux.
Personne ne se casse. Puisque personne n’est jamais vraiment venu.
Le bled est abandonné en l’état. Fracture ouverte dans la verdure.
Connerie. Autre définition bien connue des autochtones désormais.
Rien ne se passe. Pendant plus de trente ans. Si ce n’est quelques moutons qui s’y égarent et les chauve-souris qui s’y agrippent.
En 2009, le propriétaire des lieux annonce de grand travaux. Parce ce truc appartient à quelqu’un - Alan Bradley. Destruction, réhabilitation: le mec est chaud. Pour l’occasion, la BBC y va de son petit reportage sur le village fantôme. Devant leurs télés, les britanniques écarquillent leurs yeux. Fracture ouverte dans la verdure.
Parmi les écarquillés, Agents of Change. Une demi-douzaine de lascars qui fument des pétards et boivent des bières en jouant à la console des journées entières. Parfois, ils sortent peindre les murs.
Un collectif d’artistes. C’est la dénomination officielle de ce genre d’entité.
En regardant la télé, ces mecs en tombent de leurs poufs. Un bled. Abandonné. Avec des murs par centaines. Et personne pour leur courir après. Puisqu’il n’y a personne justement.
L’un d’entre eux verse une larme et se mouche sur sa manche. Manifestation de l’émotion qui le submerge.
Google. I’m feeling lucky.
Une adresse mail. Celle du proprio. Une petite lettre bien sentie. Bonjour Madame, Merci Monsieur et Compagnie.
La réponse tombe le lendemain.
Aucun problème. Avec une assurance, des casques et des pompes de sécurité. Amusez-vous.
Et voilà le collectif de camés qui remplit une fourgonnette et taille la route.
Au départ d’Edinburgh, où ils se donnent rendez-vous de bon matin, vers 13h-13h30, il faut d’abord descendre pour sortir de l’agglomération, puis direction l’Ouest par l’A720 - la Francilienne de là-bas. À l’échangeur de Sighthill, prendre la M8, une 2x2 voies, direction Glasgow. Une bonne heure et demie de lignes blanches sur fond gris. Traverser Glasgow sans quitter la M8. Pousser jusqu’à Greenhock. Là, le rail de sécurité disparaît. Place à une départementale de bord de mer, chlorophylle à gauche. À Castle Levan, tirer le frein à main et se caler sur le ferry. De l’autre côté, suivre Ballochyle, Glenlean puis Auchenbreck. Remonter sur l’A886, serpentin de bitumes au milieu des pissenlits. À quelques kilomètres au nord, le croisement avec l’A8003, direction Tighnabruaich. Le panneau est bien planqué entre deux salades, la vigilance s’impose. Encore un effort jusqu’à Millhouse. Au croisement, c’est tout droit. Sur la route qui ne porte même plus de numéro. Un chemin bitumé de quelque kilomètres jusqu’à Portavadie, aujourd’hui sympathique port de plaisance. Bourgeoisie de parc d’attraction à l’écossaise. Contourner la marina et prendre la petite route sur la droite. Pas de panneau de bienvenue. Et voilà.
Polphail. Le village mort-né. Cadavre urbaniste parmi la foule de photo-synthétiseurs.
Là, Derm, Remi, Timid, Stormy, System et Juice126 déchargent leur matos. Agents of Change est dans la place. Et, des jours durant, ils s’activent. À coups de bombes, de pinceaux, de rouleaux. Les pieds dans la crotte de mouton, coiffés de souris-chauves. Sur le gris délabré, au milieu du vert flamboyant, au bord du gris-bleu, d’autres couleurs apparaissent.
Des locaux viennent voir. Leur tapent sur l’épaule, les invitent au pub entre deux pierres apportées à leur édifice.
The Ghost Village Project
Les autochtones font dans la simplicité. Une pinte, un merci. Et une deuxième tournée.
Aujourd’hui, rien n’a bougé. Le chaud bouillant Bradley, le proprio, a toujours des projets plein la tête. Mais des courants d’air plein les poches.
Alors les fantômes de peinture continuent à zoner. En attendant d’être rasés.

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