Le récent rapport de la Cour des Comptes énonce, en introduction, que "le chemin pouvant conduire d’un déficit de l’ordre de 7,7 % du PIB en 2010 selon la prévision du Gouvernement, à un déficit de 3,0 % en 2013, puis à l’équilibre des comptes, impose de réaliser un effort de redressement considérable."
Pour ce faire, le gouvernement envisagerait notamment de mettre en concurrence les conseillers d'état avec des juristes polonais fraichement diplômés. Ceux-ci, sélectionnés pour leur aptitude à parler le français, outre leurs compétences juridiques, devraient peser deux fois moins dans le budget de l'état.
Certains juristes du Conseil envisageraient des mesures de protestation.
Plusieurs d'entre-eux estiment que l'objectif d'un déficit de 3% est imposé par le pacte de stabilité et qu'il conviendrait tout de même de ne pas oublier que la France est un pays souverain. D'autres rappellent qu'en 2005 le peuple français avait rejeté le traité constitutionnel, et que cela n'arriverait pas si la démocratie avait été respectée...
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J'arrête là cette fiction improbable. Ou plutôt décalée. De fait, ce ne sont pas des juristes du Conseil d'état qui risquent d'être remplacés par des travailleurs polonais.
Ce ne sont que des camionneurs, chez Norbert Dentressangle. On lira tout cela sur le site de la Voix du Nord. On lira aussi que le conducteur polonais, employé en France pour concurrencer ses homologues français, payés deux fois plus cher, est lui-même concurrencé en Pologne, par des ukrainiens.
L'Union européenne encourage donc, par le jeu de la libre prestation de services, la guerre de tous contre tous. Tous ? Non. Une bonne partie de la fonction publique française est à l'abri de cette pression concurrentielle.
Je ne réclame surtout pas que l'on prolonge le mouvement en supprimant le statut de la fonction publique - l'Union européenne l'imposera bien assez tôt. Mais je suis au regret de l'écrire, je pense sincèrement que si les enseignants se mettaient à être remplacés par des profs hongrois, lituaniens ou estoniens, le PS, dont ils forment parmi les plus gros bataillons, se souviendrait plus aisément que l'Union européenne n'est pas faite que de bons sentiments valorisants. C'est aussi une arme de guerre qui frappe avant tout les plus fragiles : les mal-diplômés, les bénéficiaires du système de protection sociale que l'Union s'emploie à démanteler.
J'ai été vérifier, le site du Parti Socialiste n'évoque pas cette affaire. La presse locale n'a pas l'air de mentionner le moindre soutien d'un parti politique - pas même le FN, ni le Parti de gauche, ni le PCF, aucun des partis dits "contestataires". A croire que tous sont tétanisés par les contraintes européennes. A force d'en intégrer l'ontologique "nécessité", on en oublie de réagir à des injustices qui ont sans doute le bon goût de ne toucher que des cols bleus (il serait d'ailleurs probablement outrageusement populiste, pour la presse, de s'intéresser à ces gens, qui n'ont même pas d'Ipad, ou d'Iphone G4, qu'on ne croise pas sur les pistes de ski, dont les twits sont assez peu nombreux et qui ne sont pas inscrits en masse sur Facebook...)
Pas étonnant ques lesdits cols bleus aient une certaine tendance à vouloir oublier de voter...