Salle 5 : vitrine 3 : les singes familiers - 3. du sacrifice cultuel des simiens

Publié le 01 mars 2011 par Rl1948

   Avec notre rendez-vous de ce premier mardi de mars, amis lecteurs, j'escompte mettre un point final non seulement à mes interventions à propos des singes entamées le 15 février et poursuivies la semaine dernière, mais également à toutes celles qui, depuis le 14 septembre 2010, furent consacrées à cette vitrine 3 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, en évoquant, comme d'ailleurs je l'avais précédemment fait pour les chats, le 26 octobre et pour les chiens le 8 février, les pratiques cultuelles essentiellement inhérentes à la Basse Epoque et aux ultimes dynasties de la civilisation égyptienne dont les simiens, cercopithèques comme cynocéphales, firent l'objet.

   Même en évoquant les squelettes de babouins datant de la fin de la préhistoire (Nagada III) mis au jour en Haute-Egypte, à Hiérakonpolis exactement ou, à la toute première dynastie, ceux retrouvés dans le propre complexe funéraire du souverain Aha à Abydos dont, à vrai dire, il est très difficile de déterminer s'ils furent inhumés là au titre d'animaux de compagnie d'un maître décédé ou, déjà sacralisés, il est incontestable que ce ne sera qu'à Basse Epoque, en tant qu'hypostase, en tant qu'incarnation terrestre de certaines diéités dont Thot d'Hermopolis Magna, en Moyenne-Egypte, ne fut pas la moindre, que les simiens auront droit à une momification rituelle de manière à servir d'ex-voto à des dévots que nous avons vus de plus en plus nombreux à ces derniers moments de l'Histoire égyptienne mâtinée d'influences grecques et romaines, ainsi qu'à une inhumation dans une nécropole dont la plus importante fut sans conteste celle du ouadi Qubbanet el-Qurud.

(Un merci tout particulier à Pascal P., de Louxor qui, avec beaucoup d'affabilité, m'a autorisé à lui emprunter ce cliché.)

   Vous comprendrez aisément que cette appellation que la langue arabe a donnée à l'endroit ne constitue nullement le fruit d'un hasard quand je vous traduirai le sens de ce toponyme : cimetières des singes. Raison pour laquelle les égyptologues l'ont eux dénommé "Vallée des Singes" pour conserver, je présume, une certaine cohérence démantique avec Vallée des Rois, Vallée des Reines, Vallée des Nobles, Vallée des Artisans ...

   C'est sur ce site de la montagne thébaine, à l'ouest de Medinet Habou, que l'égyptologue britannique Sir John Gardner Wilkinson (1797-1875), qui l'avait  visité dans le premier tiers du XIXème siècle, note à la page 79 de sa Topography of Thebes and general view of Egypt parue à Londres en 1835, la présence d'un "Apes burial-ground".

   Mais ce ne sera qu'au tout début du siècle suivant que le botaniste, zoologiste, anthropologue et égyptologue Louis Lortet (1836-1909) accompagné du paléontologue et égyptologue Claude Gaillard (1861-1945), Lyonnais en missions sur les rives du Nil aux fins d'y étudier la faune antique, prospecteront le lieu  et découvriront, en 1905 et 1906, des centaines de tombes plus particulièrement regroupées près de la bouche de l'ouadi, contenant, notamment, ce qu'au départ ils croyaient être des momies osiriennes et qui, en définitive, étaient celles de simiens.

Certaines reposent actuellement dans le Département égyptien du tout nouveau Musée des Confluences de Lyon.

   Dans la nécropole des singes sacrés de Qubbanet el-Qurud, Lortet et Gaillard mirent au jour de nombreux petits cercueils de terre cuite ou de terre crue séchée au soleil dans lesquels les cercopithèques momifiés avaient été déposés vraisemblablement à l'époque impériale romaine. Car précédemment, depuis le Nouvel Empire à tout le moins, l'endroit - qu'il est aussi convenu de nommer "Vallée de l'Ouest"  (West Valley, en anglais) - avait servi de sépulture à des souverains tels qu'Amenhotep III (WV 22) et Ay (WV 23), l'éphémère successeur du tout aussi éphémère Toutankhamon.

     Certains internautes attribuent, faussement d'ailleurs, puisque Wilkinson déjà employait, souvenez-vous, laes termes de "Apes burial-ground" -,  l'origine du nom de l'ouadi au fait que dans la tombe de Ay, sur le mur nord de la chambre sépulcrale, l'on trouve une importante série de babouins peints évoquant la première heure du Livre de l'Amdouat .  

(A nouveau, un tout grand merci à Thierry Benderitter de me permettre d'exporter ici de son excellent site OsirisNet certains clichés illustrant mes interventions, dont celui ci-dessus)

   Lortet et Gaillard, leur découverte faite, ne se privèrent évidemment pas, en tant que scientifiques de premier plan, d'effectuer de minutieuses études anatomiques sur ces momies simiesques .

   En compulsant les publications qui en découlèrent, je pense évidemment à la série des ouvrages qu'ils rédigèrent de conserve, La faune momifiée de l'ancienne Egypte, mais aussi à celui que Claude Gaillard publia en 1905 en collaboration avec l'égyptologue français Georges Daressy sur le même sujet dans  le cadre des volumes du Catalogue général des Antiquités égyptiennes du Musée du Caire, on constate très rapidement que beaucoup de cercopithèques étaient des femelles et qu'elles présentaient des canines limées, voire même arrachées : preuve s'il en est qu'elles n'avaient pas vécu en totale liberté mais avaient fait partie d'un cheptel captif dans les annexes des temples de la région thébaine pour, après leur momification rituelle, être inhumées dans des tombes en tant qu ex voto.

   On y apprend également que la tuberculose mais aussi  l'arthrite ou le rhumatisme chronique furent à l'origine de leurs importantes déformations, particulièrement  grâce à l'usage de l'imagerie médicale dont Louis Lortet se faisait un véritable pionnier dans la droite ligne des découvertes du physicien allemand Wilhelm Röntgen.

   

   A plus petite échelle certes, à tout le moins mesurés à l'aune des actuelles connaissances archéologiques, mais toutefois tels les chiens et les chats, autres animaux de compagnie des Egyptiens aisés de l'Antiquité, les singes furent considérés parmi les bêtes à sacrifier au nom de rites religieux qui se perpétuèrent jusqu'à ce que, à la fin de l'époque romaine, le christianisme intervienne pour interdire ces pratiques jugées barbares et païennes.

   Néanmoins, plus personne n'ignore qu'au nom de la religion chrétienne tout autant que d'autres aussi sectaires - car celle-là constitue elle aussi une secte qui, un temps, a simplement mieux réussi à s'imposer que ses voisines -, on inventa d'autres gestes, tout aussi sinon plus barbares encore puisqu'on s'y prenait là aux êtres humains qui refusaient de s'assujettir à l'un quelconque dieu érigé en parangon nécessaire pour assurer un bien hypothétique salut.

   Mais ceci est une autre histoire dont les implications se vivent encore malheureusement de nos jours aux quatre coins du monde prétendument civilisé ...

(Joleaud : 1931, 140-8 ; Goyon : passim ; Saragoza : 2009, 51-66)