Heureusement, il est des livres qui ne concluent pas dans leur titre et qui ne font que poser des questions. Le samizdat, système clandestin de circulation d’écrits dissidents dans le bloc soviétique, a sauvé L’heure du roi de la censure et de l’oubli. Son auteur, Boris Khazanov, avait déjà été condamné au Goulag pour ses actions anti-soviétiques. Dans la post face, la traductrice Elena Balzamo compare ce petit ouvrage à une miniature médiévale : « le même caractère clos, la même netteté du dessin, la même élégance de style. Mais également le même caractère anachronique et bigarré ». Il s’agit de la fin de règne de Cédric X, roi d’un minuscule Etat, envahi par l’armé du IIIème Reich : le roi, mesuré et bienveillant, courbe l’échine pour éviter le pire à son peuple. Tous les jours, s’amenuisent la liberté et l’esprit de son royaume. Jusqu’au jour où le roi décide d’agir. « Admettons que vaincre une tempête est au-delà de nos forces. Pourtant le choix du pavillon qu’arbore le navire qui sombre nous revient. Dans le choix des couleurs du drapeau réside notre entière liberté. » Superbement, les termes de la question de l’exercice de la liberté sont posés. La question corollaire est celle de l’action individuelle dans un contexte politique : a-t-elle un pouvoir ? Ce pouvoir n’est-il que symbolique ? L’action du roi ne changera rien à l’Histoire : son geste est-il donc absurde et inutile ? N’a-t-il sauvé que son honneur ? Idéalisme et réalisme peuvent-ils se retrouver à cet endroit-là ? Car, c’est là un niveau supplémentaire de lecture, il s’agit de la liberté d’un roi, celle de la personne qui représente la nation. L’auteur a la bonne idée de ne pas répondre à ces questions, il n’enjoint jamais le lecteur à une quelconque posture, la question reste entière. Est-là la force de la littérature et du péril ? Dans ce cas, nous croyons que la dictature ne rend que plus urgente une question qui reste préalable à toute action. "L'heure du roi" Boris Khazanov, traduction de Elena Balzamo, Viviane Hamy, Collection bis, 7€