GOGOL, Nikolaï VASSILIEVITCH : La Perspective Nevski
La Perspective Nevski est la grande ligne de communication pétersbourgeoise. C’est ici que l’habitant des faubourgs de la rive droite, qui depuis plusieurs années n’a plus revu son ami demeurant dans le quartier de la Barrière de Moscou, peut être certain de se rencontrer avec lui. Nul journal, nul bureau de renseignements ne vous fourniront des informations aussi complètes que celles que vous recueillez dans la Perspective Nevski.
Quelle rue admirable ! Le seul lieu de promenade de l’habitant de notre capitale, si pauvre en distractions.
Comme ses trottoirs sont bien tenus ! Et Dieu sait, pourtant, combien de pieds y laissent leurs traces ! La lourde botte du soldat en retraite, sous le poids de laquelle devrait se fendre, semble-t-il, le dur granit ;
le soulier minuscule, aussi léger qu’une fumée, de la jeune dame qui penche la tête vers les brillantes vitrines des magasins, tel un tournesol vers l’astre du jour, et la botte éperonnée du sous-lieutenant riche en espérances et dont le sabre bruyant raye les dalles. Tout y marque son empreinte : aussi bien la force que la faiblesse.
Quelles fantasmagories s’y jouent ! Quels changements rapides s’y déroulent en l’espace d’une seule journée !
Il me revient en mémoire, ce livre, comme autant de métaphores, autant de bonnes baffes et de questions en suspend.
Prenez deux parallèles, arrangez-vous pour leur donner les proportions qui, à vos yeux, frôleront la perfection et regardez loin devant. Vous la voyez la perspective ? Le petit point au bout du bout, là où les yeux se perdent…on y va tous. C’est le point final.
Entre ces deux parallèles, que met-on ? D’autres parallèles, qui remplissent l’espace sans jamais en bouleverser les frontières. On nous conseille de garder ces proportions impeccables, celles qui nous semblent parfaites, bien sous tous rapports. Composons donc. Voyons comment faire tenir un peu de fantaisie, pas trop d’emmerdes, de la joie, de la créativité, des rencontres, une famille, un job, des amis…sans faire craquer les balises.C’est là, à ce moment précis où vous vous posez pour regarder ce fameux foutu point tout au bout, où vous vous retournez aussi, alors que la moitié du chemin est grosso merdo parcouru, c’est là que vous comprenez que Second Life n’est rien à côté de la capacité insoupçonnée que nous devrions tous avoir à nous inventer des second lifes dans la real life et à s’en amuser avec autant de désinvolture que si, scotchés derrière nos écrans, nous réinventions ce qui nous a été généreusement offert : la vie.
Je la parcours ma perspective Nevski à moi, et pour la première fois de ma vie sans doute, les yeux ébouriffés, je regarde, je souris, j’écoute, je doute, je me questionne…est-ce que j’en ajoute encore un peu ? J’ai déjà beaucoup…plus serait peut-être trop…Non, non. Dans le temps qui m’est imparti et qui est surtout indéterminé, je vais y faire entrer les bonnes choses de l’existence, ma perspective ne change pas mais son contenu devient dense, lourd, et riche.Voilà donc ma façon à moi de parler de ma vie double. Sortir des conventions est douloureux, la finalité est forcément hasardeuse, inconnue et colle la trouille au ventre.
Ne rien bousculer serait une perte de temps inutile. Et une frustration au goût amer qu’un souffre douleur devrait supporter forcément.
Il m’en aura fallu du baratin pour dire qu’en l’espace de trois mois, celle qui revendiquait haut et fort que l’on peut faire des relations de presse depuis les montagnes du Haut Jura, simplement en faisant des sauts de puce dans la capitale, que tout se gère online, celle-là même va maintenant s’installer à mi-temps à Paris dans un joli bureau qui lui correspond, original, gai et bien habité, dans une rue bien proprette du XVIème. Oui, je sais.
Composition, allers et retours au programme mais pas de temps pour s’ennuyer et une porte grande ouverte sur des rencontres que j’imagine déjà : belles! Naïve que je suis...