Pour complaire à l'OCDE et pour ne pas figurer sur sa fichue liste noire, le 13 mars 2009, la Suisse s'est alignée sur ses standards et a renoncé à distinguer fraude fiscale et évasion fiscale pour l'étranger. A l'époque le Conseil fédéral avait assuré que cette distinction serait conservée en Suisse :
"La distinction entre fraude et évasion fiscale - la dernière n'étant pas punie dans la Confédération - reste en vigueur en Suisse." déclarait Hans-Rudolf Merz, Ministre des Finances, le jour même ici.
Maintenant il paraît que la maintenir dans le pays ne serait plus tenable. La Conseillère fédérale, Eveline Widmer-Schlumpf, qui n'en est pas à une trahison près, déclarait le 21 février dernier que puisque la distinction avait été levée pour l'étranger le moment était venu de lancer le débat en Suisse ici [d'où provient la photo].
Jusqu'où ira-t-on dans l'abandon de toute moralité ? Jusqu'où ira-t-on dans le reniement des valeurs helvétiques.
Qu'est-ce qui distingue en effet aujourd'hui encore, en Suisse, la fraude fiscale et l'évasion fiscale (ou soustraction fiscale) ?
"La Suisse fait une distinction entre la fraude fiscale et l'évasion fiscale. L'évasion fiscale consiste à omettre de déclarer une partie de sa fortune ou de ses revenus. Elle n'est qu'une infraction administrative. Les Suisses et les résidents étrangers sont sanctionnés par une amende ou un rattrapage, les étrangers non-résidents ne sont pas sanctionnés et les banques n'ont pas le droit de renseigner le fisc étranger dans ce cas-là. La fraude fiscale consiste à soustraire frauduleusement des contributions au moyen de titres faux, falsifiés ou contenant de fausses indications. La fraude fiscale est punissable pénalement. Les banques doivent renseigner l'autorité judiciaire suisse ou étrangère à la demande d'un juge suisse compétent." [voir mon article La Suisse, paradis fiscal ? Si seulement... du 22.10.2008]
Dans le dernier numéro de L'Hebdo, daté du 24 février, un article de Cyril Jost et Linda Bourget sur ce thème a attiré mon attention. Il est inititulé : Secret bancaire - Les cantons prêts à l'assouplir ici.
En tête d'article ces journalistes rappellent que cette distinction est unique au monde. Ce qu'ils considèrent comme une tare est en fait une vertu. En effet cette distinction subtile, mais claire, permet de faire la part des véritables intentions et des moyens utilisés pour soustraire.
Le gros argument utilisé aujourd'hui ? L'inégalité de traitement :
"Avec les CDI [conventions de double imposition], les autorités étrangères pourront demander la levée du secret bancaire même dans des cas de soustraction. Mais pas les représentants du fisc suisse."
Les journalistes ajoutent :
"Par ailleurs, "les autorités suisses pourront demander davantage d'informations sur leurs contribuables à l'étranger qu'à l'intérieur du pays", note Henri Torrione, professeur de droit fiscal à l'Université de Fribourg."
Pour ménager la chèvre et le chou, on ferait dans la nuance, préconisent certains. On conserverait la distinction entre fraude et évasion tout en l'écornant. On distinguerait entre les soustractions graves et les bénignes. Bref on tomberait dans l'arbitraire.
Voilà ce qu'il en coûte de céder aux chantages de l'OCDE et compagnie. Le renoncement à distinguer fraude et évasion était bien un piège comme je l'annonçais dans mon article du 16 mars 2009 [Secret bancaire : la trahison des Conseillers fédéraux ] :
"Il s'agit en
clair de traiter les étrangers non-résidents autrement que les résidents, de ne pas les faire bénéficier, comme les autres clients des banques, de la distinction entre fraude et évasion
fiscales. C'est une première trahison, à l'égard de ces clients étrangers des banques, qui ont fait confiance au droit suisse pour les protéger des pays rapaces et
inquisiteurs dont ils sont les ressortissants. Ils ont cru naïvement que le gouvernement suisse n'était pas inconstant comme les leurs et que les règles de protection de leur sphère privée
étaient immuables en Suisse. Ils savent maintenant - et tout le monde avec eux - que la Suisse n'est pas plus fiable que les autres et qu'ils se sont trompés sur elle.
C'est ensuite une trahison à l'égard des citoyens suisses et des étrangers résidents. Qui peut croire en effet que le droit interne ne devra
pas s'aligner, dans un avenir plus ou moins proche, sur le droit applicable aux étrangers ? Il y a une semaine encore le Conseil fédéral jurait ses grands dieux que le secret bancaire
n'était pas négociable, et, sans même négocier, vendredi, il a cédé... Or la confiance ne peut reposer que sur la certitude que les règles ne seront pas remises en cause au moindre coup de vent,
et du jour au lendemain, pour complaire aux puissants."
Il n'est pas toujours agréable d'avoir eu raison...
Francis Richard