Intéressant panorama dressé par l’hebdomadaire professionnel « Le Film Français », et qui remet très à propos les pendules à l’heure quand il s’agit de l’exception et de la culture française : seuls trois films sont rentrés dans leurs frais de production en 2010 avec les entrées en salle…
Ainsi donc, dans le pays de la subvention tranquille, où le contribuable et le spectateur financent sans le savoir des films qu’ils ne vont pas voir et dont ils n’entendent jamais parler, seuls trois films ont tiré leur épingle du jeu en équilibrant leur budget.
Comme le nombre est petit, la liste peut être fournie entièrement : celui qui s’en sort le mieux est donc « Des Hommes et Des Dieux », suivi de près par « L’Arnacoeur » et enfin de « Mammuth » …
C’est tout à fait éclairant.
D’une part, cela démontre que certains types de films français parviennent à rassembler plusieurs centaines de milliers de personnes. C’est, en soi, plutôt rassurant : bien qu’on entend régulièrement les pleurs humides de certains, réclamant en se tordant les poignets, de vigoureuses actions évidemment étatiques pour sauver la production française de l’hydre américano-mondialiste, la réalité montre que le public est encore prêt à se déplacer. Et lorsqu’on prend en compte le nombre total de ces films produits en une année (plus de deux cents), on se rend donc compte que les cinéastes ne manquent pas … et que la qualité, elle, laisse à désirer : un seul petit pour-cent seulement relève le défi de ne pas laisser d’ardoise.
D’autre part, on constate que les piscines de subventions dans lesquelles baignent la profession cinématographique auront eu un effet intéressant de polarisation des productions.
D’un côté, une myriade de films à petit budget, dont l’écrasante majorité, relatant dans un ennui monochromatique pisseux des histoires tristes à étrangler un hamster, font un bide feutré.
Films d’auteurs manifestement torturés ou bien trop accros à l’argent gratuit des autres pour réaliser une adéquation entre leurs lubies fantasques et les envies du consommateur moyen, productions interlopes aux scénarios étranges, coûteux terrains d’essais pour bricoleurs plus ou moins diplômés, la subvention généreusement distribuée permet, littéralement, de faire exploser la créativité ; comme d’autres font des cacas thermomoulés de 8m de haut peints à l’acrylique rouge devant des gares publiques, d’autres se lancent dans le cinéma et ne parviennent à impressionner qu’un film photographique qui n’avait rien demandé à personne. Au final, seuls un ou deux films de petite envergure, au scénario bien construit, arrivent à toucher un public.
De l’autre côté, on trouve quelques grosses productions dont le budget place immédiatement la rentabilité à des sommets stratosphériques que l’étroitesse du marché français rendent inatteignables, à l’exception annuelle près, exception souvent liée à un export mondial savamment marketé.
À présent, on trouvera certainement quelques études pour, comme les pleureuses précédemment citées, réclamer Plus De Moyens, le cinéma français devant absolument lutter pied à pied contre l’américain, c’est une évidence, il en va de notre survie culturelle, et patati l’exception culturelle française, et patata les films américains c’est de la mrd, etc…
Mais en fait, le mécanisme actuel des subventions et son résultat économique sans ambiguïté dans sa médiocrité montrent qu’encore une fois, l’intervention de l’état pour « protéger » un marché aura bien aidé à le rendre à la fois faible et pathologiquement dépendant.
Faible puisque les films rentables ne sont, pour ainsi dire, pas exportables : ils ont bien réussi sur le marché local, mais n’auront qu’une audience d’estime outre-France. Quant aux non-rentables, ou bien ils étaient d’emblée destinés à l’export et ne peuvent se réclamer d’une quelconque « culture française du cinéma », ou bien ils sont d’ores et déjà morts et enterrés ou prêts à passer au milieu du flot de purée télévisuelle dont on asperge la populace après 20H30.
Pathologiquement dépendant, puisque toute idée de supprimer les mécanismes de subvention et d’abondements par deniers publics est totalement inenvisageable ; mécanisme d’autant plus opaque qu’il cumule à la fois
- le détournement d’une partie du prix des billets des blockbusters étrangers vers les films français (l’argent des autres, en somme),
- les subventions directes et indirectes du Ministère de la Culture (l’argent de l’état, donc),
- et les avantages et souplesses d’un système de protection sociale finement ouvragé pour une catégorie spécifique d’intermittents du travail (soit l’argent des autres travailleurs).
On peut même ajouter à ces mamelles, que le monde du cinéma français tête goulûment, que des aides nouvelles se sont multipliées se superposant et s’enchevêtrant aux dispositifs existant dans la plus parfaite opacité chère à nos élites administratives pour lesquelles aucune solution n’est jamais trop complexe, aucun petit tuyau chromé n’est inutile, aucune pompe à merde sous-pression ne doit être épargnée. Au fil des années, le système de soutien au cinéma est devenu illisible, à tel point que peu d’acteurs de la filière savent s’ils sont des gagnants ou des perdants nets du système.
Inutile de dire qu’avec de tels atouts, une production pourtant pléthorique, une masse informe mais grandissante de personnels eux-mêmes totalement dépendants du statut d’intermittent et des aides multiples disponibles, et la force de l’habitude, il n’y a aucune chance qu’une réforme puisse un jour aboutir.
Moyennant quoi, on peut en être certain, les années prochaines proposeront toujours des nanars improbables, flous et mal cadrés, aux historiettes rachitiques, le tout pour des coûts dépassant systématiquement toute planification budgétaire.
En ces périodes de crise où les Français qui se lèvent tôt doivent serrer la ceinture, le pays peut-il encore se permettre ces largesses ? Parions cependant qu’aucune réflexion de fond(s) ne sera lancée à ce sujet qui viendra s’empiler sur la masse déjà importante des sujets soigneusement évités.
Devant ce constat, je le dis, en technicolor et son dolby surround, ce pays est foutu.
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