Des siècles ont passé depuis la destruction du leader cybrid Prometheus, et les hommes se sont lancés à la conquête des étoiles. Mais essaimer toujours plus loin au-delà du système solaire leur a imposé un nouveau mode de vie, mieux adapté à la froideur de l’espace et qui les a peu à peu éloignés du Grand Empire Humain. À présent des proscrits, ils se font appeler « Enfants de Phénix », en hommage au héros qui débarrassa jadis l’humanité des cybrids ; mais dans l’Empire on les appelle « tribaux ».
Une « tribu » qui représente une épine dans le pied de l’Empereur, de par son insubordination même. Alors, il a fait envoyer des troupes d’élite, les « Aigles de Sang », pour les rappeler à l’ordre ; mais ces soldats ont eux aussi fini par adopter le mode de vie tribal pour mieux s’adapter à l’hostilité constante de l’espace profond. Pourtant, cette nouvelle tribu a conservé certains liens avec l’Empire, au contraire de l’autre – et d’autant plus que celle-ci voit sa situation se dégrader peu à peu et sa survie toujours plus menacée à chaque jour.
Pour attirer l’attention de l’Empire sur la misère de son peuple, Daniel, chef d’un clan des « Enfants de Phénix », enlève la princesse Victoria afin de négocier une entrevue avec l’Empereur lui-même. Il ignore que cet acte pourtant bien calculé amorcera une suite d’événements qui mèneront à la Guerre Tribale…
Un événement qui infléchira toute l’Histoire de la galaxie pour les siècles à venir.
À ce jour encore le dernier né de la série des Tribes développée par le prolifique studio Dynamix, après Starsiege: Tribes (1998) et Tribes 2 (2001), Tribes: Vengeance est en fait la suite directe de Starsiege (1998), même si un fossé de plusieurs siècles sépare les époques de ces deux récits. Ainsi, les divers titres de la suite des Tribes proposent-ils, une fois considérés dans leur ensemble, ce qu’il convient d’appeler une « Histoire du Futur » (1), soit un type de série assez rare dans les jeux vidéo et qui, dans ce cas précis, présente un univers à la richesse et à la cohérence encore plus exceptionnelle sur un tel média. Cet aspect précis de ce titre mérite donc qu’on s’y attarde – au moins un peu.
Avec son inspiration située quelque part entre Dune (Frank Herbert ; 1965) et Mechwarrior (Jordan Weissman ; 1984), l’univers de Tribes: Vengeance appartient sans aucun doute possible au space opera, mais en assez nette déchéance : l’espoir de la conquête de l’espace profond y est devenu un cauchemar dans lequel l’idée de lendemains qui chantent s’enlise depuis bien trop longtemps pour qu’on puisse envisager sérieusement une amélioration à court terme. Alors, comme souvent quand demain paraît pire qu’aujourd’hui, chacun se replie sur ses positions et les conservatismes triomphent, au péril de l’idée même de civilisation…
Ainsi, le Grand Empire Humain s’entête-t-il dans une politique à poigne envers les autres habitants des confins de l’univers connu, tout en anesthésiant son propre peuple avec du pain et des jeux – et de préférence bien sanglants pour ces derniers. Pendant ce temps, les parias pourrissent dans la misère sur des mondes aux conditions de vie extrêmes dont ils ont tiré des mœurs aux allures aussi primitives qu’indispensables dans de telles conditions. Enfin, d’anciennes forces impériales d’élite devenues autonomes au fil du temps en raison de leur éloignement de l’Empire constituent une troisième faction qui tient un peu des deux autres à la fois.
Ce n’est donc pas un bête schéma binaire opposant des monarchistes conservateurs à des libertaires opprimés, mais au contraire une scène politique et sociale assez complexe où les gentils comme les salauds se trouvent dans tous les camps – et surtout là où on les y attend le moins. À ceci s’ajoutent des reliques de disputes d’antan que beaucoup trop croient disparus mais qui survivent malgré tout, depuis des siècles, et qui joueront leur rôle une fois leur moment venu, même si d’une manière aussi discrète que ponctuelle. Bref, à l’Âge des Étoiles, les passions restent inchangées, ce qui donne à l’univers de ce titre une consistance aussi rare que bienvenue.
Quant au jeu lui-même, il entre pour sa plus grande partie dans la catégorie des titres multijoueurs en équipe, le plus souvent à objectif, et avec de nets accents de classes de personnages compte tenu de la prépondérance des scaphandres blindés et mécanisés qui donnent aux joueurs des capacités particulières selon leur type. On peut préciser que de telles caractéristiques inscrivent la série des Tribes dans la lignée de Team Fortress (1996), un gage de qualité pour beaucoup déjà à l’époque de Starsiege: Tribes et qui ne s’est pas vraiment démenti depuis. Mais Tribes présente bien sûr ses propres spécificités – celles qui lui ont valu son succès.
Un mot d’ordre résume les mécaniques de jeu de Tribes: Vengeance : l’adjectif « aérien » – c’est un Tribes après tout. En raison des limitations techniques du voyage dans l’espace, soit le volume réduit des cales des navires spatiaux, le transport des HERCs (2) – les mechas de Starsiege – laissèrent place à de simples scaphandres blindés et mécanisés mais néanmoins équipés de jetpacks, soit des systèmes permettant une mobilité tout à fait étonnante – ce qui n’est jamais qu’un retour aux sources modernes du genre mecha, ou du moins celles de son « école réaliste ». Il vous faudra donc apprendre à maîtriser un tel instrument, car il s’imposera vite comme indispensable.
Tout dans Tribes, en effet, est une question de verticalité. Dans l’attaque, à partir d’une position supérieure et donc dominante, comme dans la défense, afin de se dérober dans la direction la plus difficile à garder dans son viseur pour l’ennemi. Vous devrez donc faire de la verticalité votre meilleur allié – ce qui n’est jamais qu’une définition de tous bons FPS, mais que Tribes: Vengeance pousse à l’extrême. À cet effet, vous pourrez vous élever tout comme vous pourrez glisser : une technique particulière qui permet de « skier » sur les pentes descendantes des collines afin d’attaquer dans les meilleures conditions le flanc ascendant de la suivante pour s’envoler à nouveau.
Simple question de conservation de l’allure de déplacement, un autre élément fondamental de tous bons FPS (3), et celui-ci ne fait bien sûr pas exception à cette règle tacite : pour rejoindre un objectif à temps, prendre l’adversaire de vitesse, venir en aide à un équipier en difficulté, rejoindre une base en possession du drapeau opposé comme de la balle ou d’une réserve de fuel, et dans bien d’autres occasions, la combinaison du jetpack et du skiing demande de la précision et un certain doigté – ce qui reste toujours bien plus facile à dire qu’à faire, surtout quand toutes sortes de projectiles tous plus mortels les uns que les autres pleuvent autour de vous.
Car il y a bien sûr des armes aussi, autrement ce ne serait pas drôle. Si dans l’ensemble cet arsenal se montre assez classique, c’est-à-dire si les armes différent en apparence mais très peu dans leur fonctionnement par rapport aux autres FPS orientés multijoueur, et selon votre expérience de ce type de jeu, la diversité qu’elles proposent conviendra néanmoins à tous les genres de tactiques pour peu que vous consacriez un minimum de temps à en cerner les subtilités. Quant au nombre d’armes transportées, il est limité selon le type de scaphandre que vous choisissez comme équipement – mais vous pourrez en abandonner en cours de partie pour en ramasser d’autres.
Les modèles de scaphandres, eux, se limitent à trois. Le léger permet de se déplacer très vite au prix d’une grande vulnérabilité et d’une limitation au transport d’armes de faible calibre, alors que le lourd restreint considérablement les mouvements mais donne une immense résistance ainsi que la possibilité d’utiliser les armes les plus dévastatrices ; le modèle moyen, quant à lui, se situe comme il se doit entre ces deux extrêmes. Et si vous ne vous sentez pas à l’aise dans un type de scaphandre au cours d’une partie, vous pourrez en changer à votre base autant de fois que vous le voudrez, ainsi que de vos armes et autres équipements.
Sur ce dernier point d’ailleurs, vous pouvez transporter divers « packs ». On peut noter en particulier le pack de vitesse, qui accélère vos mouvements, ou bien le pack de réparation, qui marche aussi pour vos coéquipiers situés non loin ainsi que sur les diverses installations de votre base dans vos environs immédiats. Mais vous pourrez aussi déployer des tourelles de défense, capables de détecter et d’attaquer elles-mêmes leurs propres cibles, ainsi que des radars qui vous permettront en quelque sorte de voir l’invisible pour mieux vous y préparer ; et des stations de réparation se chargeront de les maintenir en état de marche sans que vous ayez à rester à proximité.
Et pour compléter cet arsenal déjà bien conséquent, des véhicules se trouveront bien sûr à votre disposition à l’instar de tous les Tribes : comme ce type de fonctionnalité devenait prépondérante dans les jeux d’équipe à l’époque de la sortie de Tribes: Vengeance, celui-ci propose donc une assez bonne variété sur ce point. Au sol, vous pourrez piloter une petite jeep à deux places et équipée d’une mitrailleuse, ou bien un tank non seulement très solide et à la force de frappe massive mais aussi capable d’arpenter tous les terrains et les inclinaisons ; pour le combat aérien, ce sera un petit chasseur monoplace très rapide mais fragile, ou bien un bombardier lourd pour trois personnes.
Mais une telle diversité de fonctionnalités et d’équipements vous amène peut-être à penser que l’apprentissage de ce jeu s’avérera long et difficile. Pourtant, c’est tout le contraire : pour la première fois dans la série des Tribes, un titre propose non seulement une campagne solo digne de ce nom, mais celle-ci s’affirme surtout comme une excellente formation aux divers aspects fondamentaux du jeu, et en particulier ceux décrits jusqu’ici. Une fois achevée cette aventure, vous maîtriserez à un niveau tout à fait satisfaisant les diverses mécaniques du titre, prêt à en découdre avec n’importe quel adversaire, seul ou en équipe et au sol comme dans les airs.
Et quelle aventure ! Rarement, le space opera se sera montré aussi majestueux et ostentatoire, aussi exotique et technicien à la fois, aussi plein d’énergie mais contemplatif en même temps. Toute la richesse de l’univers de Tribes se trouve ici exploitée, dans la diversité des paysages, de leurs reliefs et de leurs végétations parfois parsemées de ruines, comme dans l’opulence et la majesté presque baroque des décors côté impérial, ou dans la misère et la simplicité toute fonctionnelle des installations tribales. Le récit solo de Tribes: Vengeance est une invitation au voyage vers les confins d’une imagination aux horizons galactiques.
Mais c’est aussi un récit de… vengeance, comme l’indique son titre. Et donc une histoire de fureurs, de passions et de sang. À travers les points de vue d’une poignée de personnages différents, et en alternant entre le passé et le présent, vous aurez à démêler les fils pour le moins serrés d’une intrigue à la sophistication exemplaire, et même si certains effets de surprise tombent parfois un peu à plat : si vous aimez les titres à scénario, jetez-vous donc sur Tribes: Vengeance dans les plus brefs délais au risque de passer à côté d’un monument du genre, au moins dans le domaine des FPS – ce n’est pas tous les jours qu’on participe à écrire l’Histoire de la Galaxie après tout…
Quant à la technologie choisie par les développeurs, ce n’est rien de moins qu’une version très retravaillée, et donc considérablement optimisée, de la seconde version de l’Unreal Engine – baptisée pour l’occasion Vengeance Engine. On en distingue les spécificités notamment dans sa gestion des terrains et de leurs matériaux mais aussi dans de nombreux effets de simulation des forces physiques, telles que les rebonds de projectiles. Si on y retrouve aussi la plupart des limites de ce moteur, surtout dans la gestion de la lumière sur les éléments de décors à base de static meshes, il n’en résulte pas moins des visuels tout à fait saisissants.
Voilà comment Tribes: Vengeance s’affirme comme une des plus grandes réussites du genre FPS : en prolongeant fidèlement une série devenue culte tout en y ajoutant ce qui lui manquait pour en faire un titre de qualité pour tous les publics – soit une campagne solo aussi sophistiquée dans la facture que dans le fond mais aussi très utile pour former les nouveaux-venus aux subtilités fondamentales de la franchise.
Car, parfois, il ne faut rien de plus qu’un bon récit – un conte, une aventure, une fable – pour faire toute la différence…
(1) dans le vocable de la science-fiction, ce terme désigne une suite de récits qui dépeignent un avenir en évolution et dont chaque histoire permet d’en explorer un segment. ↩
(2) abréviation d’HERCULEAN, lui-même un acronyme d’Humaniform-Emulation Roboticized Combat Unit with Leg-Articulated Navigation. ↩
(3) et même si un récent carnet de développeur a permis d’apprendre que cette fonctionnalité de « skiing » était au départ un bug inhérent au moteur physique du tout premier titre de la série au lieu d’une fonctionnalité implémentée volontairement… ↩
Notes :
Le 23 mars 2005, soit à peine un peu plus de six mois après la sortie du titre, Vivendi Universal annonça qu’ils cessaient tout support technique pour Tribes: Vengeance dès publication du patch 1.1 ; pourtant, une autre mise à jour avait été développée par Irrational Games et se trouvait prête à être distribuée…
Si pendant longtemps il s’avéra impossible de jouer à Tribes en ligne, du moins dans des conditions optimales, la licence se vit rachetée par Hi-Rez Studios, créateur de Global Agenda (2010), qui annonça en octobre 2010 travailler sur un MMORPG intitulé Tribes Universe – mais sans préciser de date de sortie.
Tribes: Vengeance
Irrational Games, 2004
Windows, entre 2 et 40 € (neuf)