Les superlatifs honorifiques se bousculent pour exprimer toutes les émotions nous traversant à l'écoute de cet album, par ailleurs récompensé au titre de meilleur album
français lors des Victoires du jazz en 2006. Suggéré par Ronan Palud, également producteur associé de ce projet, la rencontre des frères Belmondo (le
saxophoniste Lionel, 47 ans, et le trompettiste, bugliste, et batteur de jazz Stéphane, 43 ans) avec Jusef Lateef est bien une affaire d'Influence, même si ce
qu'elle engage va bien au-delà du seul rapport de filiation stylistique.
Voici ce que disaient les 2 frères à propos de ce grand musicien au charisme prophétique: «C’est d’abord quelqu’un qui a créé son propre label, YAL, qui compte 80 disques. Tous les gens que ça
intéresse peuvent commander les albums de Yusef Lateef sur son site. C’est un choix dans lequel on se reconnaît puisque nous avons créé notre propre label b-flat pour mener à bien nos projets
avec notre distributeur Discograph. C’est le prix de la liberté, parce qu’il n’y a pas de liberté sans culture. Influence, c’est effectivement le titre. Il fait parti de ces gens qu’on respecte
depuis toujours. Mais aujourd’hui l’influence est mutuelle. Nous sommes influencés par Yusef, Yusef est influencé par nous. Il vient de repartir aux Etats-Unis avec le disque de la 2ème symphonie
de Rachmaninov !».
Les points communs sont nombreux et l'on aurait tort de n'y voir qu'une série de coïncidences. Ils participent d'une même manière de vivre la musique entièrement, avec foi et conviction. Lionel
Belmondo ne pouvait que ce reconnaitre dans ce grand aîné venu d'Amérique. Un homme aux nombreux visages, à la force de caractère intègre, qui s'est retiré du milieu du jazz pour ne pas avoir à
frayer avec les compromissions du show business; qui s'est investi dans l'enseignement avec le goût de la transmission, qui a toujours prêté intérêt aux racines africaines du jazz, assumant ses
choix sans douter; qui a persévéré contre vents et marées à réaliser ses projets les plus ambitieux quand il n'était aux yeux de bien des gens qu'un simple "jazzman" parmi tant d'autres; un
homme, enfin, qui a toujours fédérer les musiciens avec lesquels il jouait, notamment à Detroit, et suscité leur admiration au point qu'ils se réfèrent à lui comme à une éminence grise (gourou de
John Coltrane - qu'il arracha de la drogue en l'initiant aux lectures de la Bhagavad-Gita, Lateef fut le premier, dans les années 1950, à instiller dans le jazz les gammes et les harmonies venant
d'autres continents, annonçant les albums Africa Brass, de Coltrane, ou Milestones, de Miles Davis, ce dernier l'ayant bien connu pendant les 6 mois qu'il passa à Detroit en
1953).
Cet
échange s'exprime sur un double album réunissant un disque de compositions écrites par Lionel Belmondo et Christophe Dal Sasso, et un second à partir des compositions de Yusef Lateef. Voici ce
qu'en a dit Lionel: «Le concept de l’album résume toute cette démarche. Mais il ne devait y avoir qu’un disque ... On a commencé avec Christophe, mon deuxième frère, qui a composé pour Yusef. On
travaille sur Final, un logiciel de musique. On se met autour de la table, on dialogue, on s’affronte, on s’engueule. Pour l’album, on a retenu "Shafaa", cela veut dire intercession en arab.
Christophe a également écrit une suite pour Yusef, Influence (17 minutes). On se connaît depuis qu’on a quatorze ans. Je voulais que l’album porte le nom d’une de ses compositions. On a repris
"Morning" et "Métaphor" issu de son premier album Jazz Mood. Egalement "Iqbal", une ballade écrite pour sa fille. Il y a un seul exposé dans le morceau et j’ai choisi de développer un deuxième
exposé, comme je le fais avec les Français du XIXe, Fauré ou Boulanger. Pas question de faire du passéisme. C’est le lien entre le passé et le présent qui nous intéresse. C’est un morceau dédié à
sa fille qui un matin ne s’est pas réveillée. Je pleure à chaque fois. Et puis cadeau, Yusef nous a amené deux compositions : "Le Jardin", hommage à la France et "An afternoon in Chatanooga" qui
est le nom de sa ville natale. Six mois avant de rentrer en studio, il a retravaillé le haut-bois qu'il n’avait pas joué depuis 11 ans. Les deux derniers concerts, dont celui de Toulouse, il
s’est levé, il a joué debout. Un solo d’un quart d’heure sur le ténor. Partout il a rappelé que l’enjeu n’est pas le jazz, mais la musique. C’est ça la création».
What else?
Propos repris en grande partie d'une interview pour RFI en novembre 2005 ainsi que de l'hommage rendu par le journaliste à Jazzman Vincent Bessière qui figure dans le livret accompagnant le cd.