Magazine Culture
Emile Littré, Comment j'ai fait mon dictionnaire, Paris, Editions du Sonneur, 2010, 93 p.
Petite autobiographie du fameux dictionnaire achevé en 1872 : 80 000 entrées, 300 000 citations, une longue colonne de 37 km !). On y suit le travail régulier qu'impose un pareil projet (horaires, méthodes, etc.). On y voit la partie manuelle, souvent impensée, indiscutée, du travail intellectuel, "l'humble et mécanique travail qui range à la file les vocables d'un lexique" : colliger, découper, copier, effacer, raturer, recopier, corriger, classer, compter les lettres supprimées et celles qui les remplacent, etc. Ingéniosité, dextérité, qui n'ont rien à voir avec l'étymologie et la lexicographie. "En ce tas de petits papiers, je possédais, sous un état informe, il est vrai, le fonds des autorités de la langue classique et le fonds de l'histoire de toute langue". On y voit aussi l'absence de sauvegarde (crainte de l'incendie, impossibilité de faire des copies manuscrites d'un tel ouvrage), les travaux sur épreuves, sur placard les contraintes du travail domestique à l'économie (res angusta domi !).
Travail in-terminable : "Mais qui peut espérer de clore jamais un dictionnaire de langue vivante ?" Pourtant le Littré s'en tient au français des grandes oeuvres (les auteurs les plus cités sont, dans l'ordre, Voltaire puis Bossuet, Corneille, Racine, Madame de Sévigné, Molière, Montaigne, La Fontaine, etc.). L'idée d'un tel dictionnaire avait été formée par Voltaire...
Cet ouvrage fait voir avec éclat ce que le numérique et l'ordinateur ont changé dans le travail dit intellectuel. De plus, entendre à l'oeuvre cet humaniste conservateur (il hait la Commune), helléniste et médecin (traducteur d'Hyppocrate), disciple d'Auguste Comte, éclaire la généalogie des idées du XIXème siècle, de l'Empire à la République.
NB : le Littré en ligne
http://francois.gannaz.free.fr/Littre/accueil.php (à qui j'emprunte les statistiques)
http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/