La grande low-cost américaine passe ŕ la vitesse supérieure.
Les inévitables obstacles administratifs et réglementaires étant franchis, l’absorption d’AirTran par Southwest Airlines va devenir réalité. L’importance symbolique de l’événement n’échappe ŕ personne dans la mesure oů, grâce ŕ cette opération de croissance externe, la premičre low cost américaine, inspiratrice d’un mouvement désormais mondial, va franchir le cap des 100 millions de passagers annuels.
Le paysage aérien américain n’en sera pas fondamentalement modifié pour autant. En revanche, il conduit la profession tout entičre ŕ s’interroger, une fois de plus, sur les fondements d’une réussite spectaculaire, conduite de main de maître, une révolution tranquille qui s’est étendue sur une quarantaine d’années. Southwest est une icône, modčle parfait de compagnie low cost, qui n’ jamais renié ses plus pures ambitions d’ętre différente, de faire le bonheur de ses passagers par le truchement de tarifs vraiment les plus bas du marché. Et qui, en plus, est devenu un magnifique exemple d’entreprise oů il fait bon travailler. Une PME devenue grande, trčs grande, puissante, enviée, imitée ŕ l’infini et qui, c’est lŕ que réside l’exploit, ne s’est pas embourgeoisée. Elle n’a pas pris une ride, elle ne souffre pas de surcharge pondérale.
Il suffit de relire les bases de la gouvernance de Southwest pour comprendre que la saga est devenue modčle économique ŕ part entičre. De plus, la preuve est faite qu’il est possible de le reproduire, de l’adapter ŕ d’autres marchés, comme en témoignent Ryanair, EasyJet ou encore des compagnies asiatiques de création récente. En revanche, seule Southwest conserve la saveur du modčle original, un état d’esprit inclassable, la Ť Southwest citizenship ť qui n’a pas été altérée, usée ou remise en question par des crises de croissance successives. La PME née discrčtement au Texas en 1971, avant absorption d’AirTran, occupe 35.000 personnes, exploite trčs exactement 547 Boeing 737 et bénéficie d’une image tout simplement exceptionnelle.
On y parle moins souvent qu’ailleurs de rentabilité, de retour sur investissement, comme s’il s’agissait surtout de faire prospérer une compagnie aérienne pour le plaisir, pour mettre le voyage ŕ la portée du plus grand nombre. Ce qui n’est pas trčs loin de la réalité, mais sans négliger pour autant les contingences de ce bas monde. L’équipe en place, installée, façonnée, inspirée par le pčre fondateur, Herb Kelleher, est fičre de rappeler que Southwest, depuis 37 ans, est imperturbablement bénéficiaire, quoi qu’il arrive. Le résultat d’une gestion de bon pčre de famille en męme tant que celui d’une stratégie qui accorde moins qu’ailleurs la priorité …au transport aérien. Ce qui fait visiblement toute la différence.
Sorte de Baden-Powell de l’aviation, Herb Kelleher, qui affectionne les chemises bariolées et se déplace en Harley-Davidson, est du style ŕ exiger que chacun s’amuse en travaillant. Southwest, ont souligné des analystes un peu plus futés que d’autres est Ťa way of life, more than a way to flyť, un credo tellement simple qu’il se passe de traduction. Jamais de licenciements, męme au pire des accidents conjoncturels, une politique qui se veut égalitaire, mieux, disent en interne les roseaux pensants, une démocratie du transport aérien. Nombreux sont ceux qui ont tenté de reproduire le modčle, avec plus ou moins de bonheur, mais souvent avec brutalité (Ryanair) ou encore appât du gain (EasyJet). Rien de tel chez Southwest, qui s’était ŕ l’origine baptisée The Love Airline parce qu’elle avait choisi pour base opérationnelle Love Airfield, terrain secondaire de Dallas.
Kevin et Jackie Freiberg, qui ont consacré 360 pages bien tassées ŕ la saga Southwest, il y a une quinzaine d’années, avaient mis en évidence l’esprit de corps (en français dans le texte) qui rčgne depuis l’origine dans l’entreprise, en męme temps que son combat contre la bureaucratie. Ils citaient Ron Dicks, qui fut chargé des affaires gouvernementales, expliquant que le personnel n’a jamais eu le sentiment d’occuper un emploi mais bien de mener une croisade pour une aviation commerciale plus juste. Cela dans le respect des rčgles, sachant que plus de 80% du personnel de Southwest est syndiqué.
La suite est connue : utilisation optimale des avions, demi-tours en 25 minutes, grilles tarifaires séduisantes et le petit quelque chose de plus que les voyageurs ne trouvent pas ailleurs. Le modčle économique de Southwest ignore la notion de hub et, de ce fait, la rčgle du point ŕ point permet de gérer chaque ligne comme une petite entreprise distincte de tout au plus quelques centaines de personnes. D’oů la possibilité de maintenir l’esprit de corps contre vents et marées.
Southwest, contrairement aux plus bruyants de ses émules, s’est construite avec une infinie patience, c’est-ŕ-dire au moins deux fois moins vite que Ryanair. Aujourd’hui, en absorbant AirTran, elle fait un bon en avant et conforte son statut de petit géant, ŕ égalité avec American, Delta et d’autres ténors. Une belle réussite, bien américaine, source d’inspiration infinie portée par un bel enthousiasme. Lequel, malheureusement, n’a pas traversé l’Atlantique.
Pierre Sparaco - AeroMorning