Journal de la femme de. Bien entendu, je ne l'aurais pas ouvert s'il n'y avait comme accroche tout ce qu'on sait.
Les mœurs du mari, qui a amplement montré dans des films ou explicité dans des textes son goût des cravaches, des chaînes et des lolitas.
La renommée du même mari en tant qu'écrivain, chef de file auto-proclamé du Nouveau Roman, ayant exercé pendant une ou deux dizaines d'années une influence énorme sur les lettres françaises.
La renommée de la femme aussi, connue pour avoir publié deux livres sous pseudonyme: L'Image en 1956, qu'elle a signé Jean de Berg (je ne l'ai pas lu), et Cérémonies de femmes qu'elle a signé Jeanne de Berg, et qui parle des cérémonies sado-masochiste qu'elle présidait en tant que maîtresse.
Elle est encore soumise dans les années 1957 à 1962, durant lesquelles elle écrit son journal, oublié ensuite, retrouvé dans un grenier 45 ans plus tard. Catherine vient d'épouser Alain Robbe-Grillet, auteur des Gommes, de La Jalousie, du Voyeur, et qui va écrire Dans le labyrinthe et collaborer à L'année dernière à Marienbad, film de Resnais. Ce sont les années où le Nouveau Roman s'impose et où la gloire de son chef de file s'établit.
Alain Robbe-Grillet est un maître en intrigues. On en voit quelques-unes dans les pages de ce journal. C'est un de ses intérêts, comme les personnages du milieu littéraire qu'on croise (tout le Nouveau Roman, bien entendu, mais aussi Sollers et Jean-Edern Hallier débutants, etc.).
Il y a dans ces pages un délicieux parfum de nostalgie documentée. La DS, la 4 chevaux, la guerre d'Algérie... Et puis quelque chose d'involontairement comique.
Catherine Robbe-Grillet veut montrer dans ses notes à quel point elle est une femme peu conventionnelle. Le portrait qui se dégage montre au contraire une bonne petite bourgeoise éperdue d'admiration pour son mari, qui, certes, se laisse fouetter, joue à la lolita, fantasme sur les femmes et pratique à doses très raisonnables un triolisme balbutiant, notamment avec Jérôme Lindon.
Mais elle passe surtout son temps à faire du shopping, à aller aux sports d'hiver, à diner chez des amis et à visiter les capitales étrangères.
Catherine Robbe-Grillet, Jeune mariée, journal 1957-1962, Fayard