Après Le Coût de la vie et L’Année Juliette, Philippe Le Guay retrouve Fabrice Luchini dans une comédie drôle et attachante, qui évite toute démagogie. En cette période de disette cinématographique, on se laisse porter par l’enthousiasme de ces Femmes du 6ème étage. Une bonne surprise.
Paris, 1962. Jean-Louis Joubert, agent de change fréquentant la haute société, mène une vie réglée et dénuée de fantaisie, entouré de sa femme Suzanne et de sa vieille bonne bretonne. Il ne voit que rarement ses deux fils, tous deux envoyés en pension. Lorsqu’il décide d’engager une nouvelle femme de ménage, il découvre l’existence de femmes espagnoles au sixième étage de son immeuble bourgeois. Au contact de ces travailleuses immigrées, venues en France pour fuir le franquisme, le spectateur assiste à la métamorphose de “Monsieur Joubert”, las du carcan familial et des convenances bourgeoises.
Sur le papier, on est en droit de craindre le pire : on imagine un film pétri de bons sentiments, une ode béate à la tolérance et au “vivre-ensemble”. Fort heureusement, Philippe Le Guay évite les clichés et réussit à tirer de son sujet une fraîcheur inattendue. De même qu’il ne se vautre jamais dans un manichéisme grossier : le réalisateur échappe au discours caricatural de lutte des classes. Dans Les Femmes du 6ème étage, le regard est bienveillant des deux côtés. Bienveillant mais jamais complaisant. Le Guay ne limite pas ses personnages à des stéréotypes, et se garde bien de juger le personnage de Fabrice Luchini, décidément idéal en bourgeois coincé. Celui qui par le passé avait l’habitude d’incarner des personnages de dandy spirituel semble être devenu l’incarnation de cette bourgeoisie vieille-France. L’année dernière, l’acteur s’était déjà illustré dans un registre similaire dans Les Invités de mon père (Anne Le Ny) et Potiche (François Ozon). Si son épouse BCBG, incarnée par Sandrine Kiberlain, apparaît aux premiers abords rigide et condescendante, elle n’est pourtant pas dénuée d’humanité.
Le réalisateur ne se pose pas en moralisateur, n’accable pas cette famille déconnectée d’une certaine réalité sociale. Bien sûr, il épingle l’hypocrisie du discours bourgeois (le couple met à la porte leur vieille bonne, qui “faisait presque partie de la famille” après quinze ans de loyaux services), mais plutôt que de s’en prendre bêtement à une classe sociale, il en pointe la naïveté et l’ignorance. Le film montre comment cette bourgeoisie parisienne vit recroquevillée sur elle-même, sur son quotidien guindé, ses intrigues de Cour. Lorsque les femmes de patrons et d’industriels se retrouvent pour jouer au bridge, elles déblatèrent sur Bettina de Brossolette, croqueuse d’hommes mondaine. Au 6ème étage, tout autre tableau : les bonnes espagnoles vivent, sans jamais se plaindre de leurs conditions de vie. Elles partagent tout, échangent tout, leurs joies, leurs tracas. Travaillent dur mais n’oublient jamais de vivre. C’est l’une des belles réussites du film : l’alchimie entre les actrices, toutes excellentes. Carmen Maura, évidemment, mais on retiendra également Berta Ojea (Dolores), réjouissante en bigote émotive. Si la fin, convenue, laisse un sentiment d’inachevé, Philippe Le Guay réussit un vrai film populaire. Au sens noble du terme.
En salles le 16 février 2011
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