Malgré l’annonce par Nicolas Sarkozy d’un remaniement d’ampleur, la démission de Michèle Alliot-Marie n’offrira probablement qu’un court répit au pouvoir tant le malaise suscité par la diplomatie française semble profond. Renvoyant dos à dos les diplomates anonymes et une politique étrangère dont il critique les nombreux reniements, notamment dans le domaine des Droits de l’Homme, notre éditorialiste souligne le manque de coordination entre ministères qui trahit la persistance de clivages corporatistes. Ces derniers ne nuisent pas seulement à la diplomatie mais également aux ambitions commerciales de la France.
Le départ de Michèle Alliot-Marie n’y changera rien. Ce serait une erreur de croire que son remplacement par Alain Juppé stoppera la grogne des diplomates et, au-delà, le mécontentement populaire sur l’action générale du gouvernement : les grossiers errements de la Ministre des affaires étrangères ont sans doute servi d’élément déclencheur mais ne représentent pas la cause de l’insatisfaction. Ils n’ont fait que la cristalliser. Les Français trouveront demain un autre support pour étayer leur ressentiment. Dans cette histoire où de courageux diplomates anonymes s’invectivent d’un jour à l’autre par correspondance pamphlétaire interposée, le sens critique inviterait presque à renvoyer dos à dos tous les protagonistes. Le pouvoir politique comme la caste des diplomates possède en effet leur part de responsabilité.
Nicolas Sarkozy a trop cherché, en premier lieu, à individualiser une politique étrangère qui devait rester celle d’un Etat. La diplomatie parallèle de l’Elysée est devenue la bête noire de tout candidat sérieux -Alain Juppé en fait partie- à la tête du « Département ». Sous réserve de confirmation, l’information sur le fait d’avoir proposé le Quai d’Orsay à Dominique de Villepin lors de son récent entretien avec lui montre que le chef de l’Etat n’a toujours pas dépassé la conception d’un ministère comme simple élément de négociation politicienne. C’est pourtant sa diplomatie qui est sur la sellette car elle n’a pas tenu ses promesses : qui se souviendra, le soir de son élection en mai 2007, de son appel « à tous ceux qui, dans le monde, croient aux valeurs de la tolérance, de la liberté et de la démocratie, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et les dictatures ». Avoir supprimé en juin 2009 le Secrétariat d’Etat aux Droits de l’Homme et constater, quelques mois plus tard, la jeunesse du monde arabo-musulmane se réclamer de cette philosophie vaut indicateur du degré de reniement de la diplomatie française : en témoignent la somptueuse réception à Paris de Kadhafi, celle tout aussi exagérée -et sans lendemain- de Bachar El Assad à la Tribune officielle du 14 juillet et les pressions exercées sur le Recteur de la Cathédrale russe St Nicolas de Nice pour en offrir les clefs à Vladimir Poutine ! Un aveuglement accompagné d’un manque d’articulation « opérationnelle » entre « prospective » et « anticipation » au sein des différents ministères, selon l’aveu de Bernard Bajolet qui vient de quitter son poste de coordonateur du renseignement auprès du chef de l’Etat.
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Attente fiévreuse des instructions du Cabinet du Ministre
Les considérations de cet ambassadeur de carrière illustrent d’ailleurs les contradictions traditionnelles des diplomates eux-mêmes : « le renseignement commence là où s’arrête la diplomatie » a-t-il savamment expliqué aux Députés de la Commission de la défense. « Il n’appartient pas aux services de renseignement d’étudier les courants profonds qui traversent les sociétés », a-t-il encore précisé avant toutefois de reconnaître que « les services doivent nous renseigner sur ce qui se passe dans les cercles dirigeants et les milieux politiques en vue d’anticiper les événements à venir ». Bel exemple de clivage corporatiste malgré l’impérieuse nécessité d’abandonner la rétention de l’information et de partager les compétences. Rouages dépassés dans la célérité de la transmission par les journalistes, les hommes d’affaires ou les réseaux sociaux, les ambassadeurs sont devenus aujourd’hui de simples fonctionnaires amovibles, coincés entre l’attente fiévreuse des instructions du Cabinet du Ministre qui les autorisent à bouger et des dépêches aseptisées qui ne doivent plus déplaire au chef au risque de déplaire eux-mêmes. Malgré l’appel de Jacques Chirac à devenir, dès 1995, les « Ambassadeurs de l’économie », seules les « affaires de grande importance » -celles dont les présidents de société sont en cour à Paris- retiennent leur attention : les PME seront appréciées à la hauteur de leurs chiffres d’affaires.Rappelons finalement un principe simple : si elle appartient bien au « domaine réservé » du Président de la République, la décision en politique étrangère sans l’aide d’experts qui la préparent et qui osent l’éclairer, ne peut que se fourvoyer.
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Jean-Luc Vannier, le 27/02/2011