Etat de siège à Bourg-Saint-Maurice
Publié le 27 février 2011 par Doespirito
@Doespirito
Hauts-parleurs et agents SNCF répètent en boucle les raisons de l'absence de TGV le jour des grands retours des séjours au ski. «Acte de malveillance». Des câbles ont été coupés à 9h30, le matin même. La signalisation et la commande automatique des passages à niveaux sont donc bloquées dans la vallée de la Tarentaise. Résultat : plus un seul train ne débouche sur cette portion à voie unique qui se termine en cul-de-sac à la gare de Bourg-Saint-Maurice.
Un bon millier de personnes attendent dans la gare. Quelques agents SNCF viennent au contact pour distiller des informations au compte-gouttes. «Le premier TGV au départ viendra peut-être dans une heure. Ils sont bloqués plus haut. On n'en sait pas plus. Il faut que je me renseigne. Gardez votre billet. Ne changez pas de train. Non, le Lille Europe n'est pas annoncé. Le 16h16 est pour l'instant dans un endroit indéterminé... Il faut attendre....»
Les vacanciers sont inquiets. On va aux nouvelles, on revient avec des bribes d'informations qu'on redonne, l'air important, à sa famille ou à ses proches qui vous attendent par groupes, par grappes, assis comme ils peuvent dans la gare et sur les quais envahis par les vagues nouvelles qui arrivent pour prendre les TGV suivants.
Pas un policier, par un pompier, pas un représentant de la Sécurité civile. Trois agents de sécurité de la SNCF, en tout et pour tout. Projetez d'organiser une rave-party avec quelques centaines de participants et vous verrez tout ce beau monde rappliquer en rang serré pour vous rappeler la législation. Là, des centaines de passagers s'agglutinent dans le plus complet désordre et nul képi ou pull rouge à l'horizon, pas le moindre représentant du Préfet dans le secteur. Les toilettes sont envahies et la dame pipi récolte toujours ses 50 centimes. Elle est coulante avec ceux qui n'ont pas de monnaie ou qui n'en peuvent déjà plus avec un tel désordre. Mais sa remplaçante va rapidement piquer une crise de nerfs et aggriper les récalcitrants, avant de se faire remettre à sa place.
Il y a deux prises de courant dans la gare. Un père a acheté la paix avec son fils de cinq ans en branchant son Mac sur l'une et en lui mettant un DVD de dessin animé. L'enfant rouspète quand un homme en mal d'électricité vient se brancher pour son téléphone portable : «L'écran noircit !». L'homme finit par lui dire qu'il a des parents à appeler et que son portable est déchargé. Le père de l'enfant s'approche. Il ne dit rien, il reste à côté de l'homme au portable, dans une sorte de pression muette. Genre «Dépêche-toi de charger, l'écran noircit».
L'autre prise est accaparée par une femme pour son Iphone. Elle téléphone à qui mieux mieux puis s'amuse avec les applications. Je finis par m'interposer pour charger le mien. Elle acquiesce de mauvaise grâce. Une autre femme vient à son tour. La femme à l'Iphone se mue en pourvoyeuse d'électricité : «Il y a le monsieur qui reste cinq minutes pour charger. Et puis vous après...».
Le premier TGV à partir n'en finit plus d'annoncer son départ. Les trois gendarmes courent vers les rames au pas de gymnastique. Il faut faire descendre des passagers monter sans billet dans ce train, et que le contrôleur refuse d'accepter. Palabres, intimidations, signal d'alarme tiré... Le premier TGV en partance reprend trois quart d'heures de retard. Quand le suivant arrive, il faut attendre que le ménage soit fait à l'intérieur. Et les gendarmes filtrent les passagers en contrôlant les tickets.
La SNCF a envoyé un agent costaud au contact des voyageurs. Les hommes (surtout des pères) viennent se renseigner. L'un d'eux s'énerve :
- «Vous avez intérêt à donner des trains, sinon, votre képi risque de voler...»
_ «Celui qui fera voler mon képi n'est pas encore né. Il faudra me passer sur le corps. Et de préférence les femmes d'abord...»
Le monsieur rabroué s'en retourne vers sa femme. Il lui raconte juste la blague de fin du dialogue. Il oublie de lui rapporter sa petite agression de départ et la répartie virile de l'agent SNCF. Petit instantané de la lâcheté masculine.
Les trains auront au final au moins 4 à 5 heures de départ. Quand enfin se présente mon TGV, les passagers qui en descendent sont exténués : ils s'étonnent qu'on soit impatient de monter dedans. Ils sont partis depuis 13 heures de Paris. A Gare de Lyon, quand on arrive, il y a une sorte de buffet qui attend les voyageurs. Les équipes de télé sont en train de plier bagage.