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Comment j'ai traversé l'Europe toute seule à même pas 14 ans (part 3)
Publié le 27 février 2011 par EtsinonrienSur le parking de la gare routière, je regarde, hébétée, la multitude de bledards prêts à voyager avec moi : des valises dans tous les sens, des glacières, des objets incongrus, l'effervescence du moment remplit tout le monde d'excitation à l'idée d'entreprendre ce grand voyage. Je ne quitte plus ma copine ni sa grand-mère d'une semelle, je suis trop contente de les avoir retrouvées.
Tout à coup, un des chauffeurs d'autocar élève la voix et rappelle aux retardataires que l'autocar de gauche dessert les bleds du nord et l'autocar de droite les bleds du sud... Ma copine-voisine en France n'est pas du tout ma voisine de bled, je comprends très rapidement que nous n'allons pas voyager dans le même autocar.
A ce moment précis, étrangement, j'ai moins envie de le faire, ce voyage. Je n'avais pas du tout envisagé les choses comme cela. Je n'ai pas spécialement peur, non, c'est surtout que c'est nettement moins drôle sans ma copine.
Il reste une pauvre minute avant le départ, mon père s'empare de ma valise et la glisse dans la soute à bagage de l'autocar. Aujourd'hui encore, je me demande ce qui a pu lui traverser l'esprit (l'évocation de cette anecdote lors d'un repas de famille 20 ans après a révélé que mon père avait une mémoire sélective, pour lui j'étais partie avec ma copine, point barre).
J'ai essayé de me mettre dans sa peau pour comprendre : il avait dépensé une somme importante pour ce billet d'autocar, peut-être ne voulait-il pas perdre son argent, peut-être ne voulait-il pas que je sois déçue, peut-être avait-il rêvé trop longtemps d'avoir la paix pendant mon absence. Ma mère, quant à elle, s'est toujours effacée devant les décisions de mon père, mais je pense qu'elle ne devait pas en mener large.
Notre retard au rendez-vous ne leur a pas laissé le loisir de réfléchir trop longtemps : ils auraient pu rentrer à la maison avec moi, j'aurais continué à rouiller en bas de mon HLM et je serais partie au bled en voiture avec eux quelques semaines plus tard.
Mais visiblement, ce n'était pas ma destinée : je suis montée dans l'autocar, je ne connaissais personne. J'ai cherché une place au fond, près de la fenêtre, j'étais seule. Je ne voulais pas de compagnie, je ne voulais pas de voisin avec qui discuter. J'avais 14 ans moins trois semaines, j'étais une adolescente mal dans sa peau, et je m'apprêtais à traverser l'Europe toute seule pour la première fois. Je crois que je trouvais cela normal, puisque mes parents le cautionnaient, à cet âge-là, on a encore besoin de s'en remettre à ses parents. Néanmoins, je me rappelle encore aujourd'hui quand mon estomac s'est noué et ma gorge resserrée tandis que l'autocar démarrait et que je disais au revoir en souriant à mes parents par la fenêtre : "je vous appelle en arrivant! à bientôt!"